C’est pour aujourd’hui ou pour demain ?

Attablés tous les deux au salon, nous avons l’air studieux. Je bosse une dissertation, tandis que lui est sur une présentation pour la semaine prochaine.

Je jette de petits coups d’œil dans sa direction, furtivement. Puis je l’ignore enfin. Les doigts tapent sur les touches à toute allure de part et d’autre de la table. Quel sérieux !

Après quelques heures à rester assis, soudain je me surprends à ricaner comme si j’étais seule au monde. Un regard désapprobateur me stoppe net.

« Hmm… Pardon ! »

Une main sur la bouche, je reprends mon sérieux et l’incident semble être clos. Mais, dix minutes plus tard, je pars dans un grand éclat de rire, sans aucune retenue. Je ne prends même pas la peine de m’excuser. Mon fou rire n’en finit plus.

« Je ne savais pas que la réécriture du Mythe d’Orphée au XIXe siècle était hilarante. »

Son ton froid me calme, un peu.

« Si tu savais… »

Je me tais avant de l’énerver un peu plus.

« Tu me montreras ton travail, dans quinze minutes. »

Je rougis mais ne me démonte pas.

« Je ne suis plus une gamine. Tu rêves !

– Pardon ? »

Sans prévenir, il tourne l’écran vers lui et découvre une page de chat à la place de la dissertation attendue.

« Héé ! Tu n’as pas le droit ! »

Son regard me dissuade de continuer. Instinctivement, je me tasse vers l’arrière de mon siège.

« Ça fait longtemps ? »

J’ai envie de lui mentir. Je devrais lui mentir. Mais je n’y arrive pas.

« Plus d’une heure…

– Tu te moques de qui ? »

Sourcils inquiets, je baisse la tête. Je ne veux plus croiser ses yeux. Il a l’air furieux.

« Viens, ici. »

Ça ne ressemble pas à une question pourtant je reste sur ma chaise. Je jette un coup d’œil catastrophé à l’horloge murale. Je reprends mon ordi et m’apprête à travailler.

« Oulà ! Non, désolée. Je n’ai pas le temps, faut que je m’y mette ! Il est tard. »

Je sens mon stress grimper en flèche, j’ai échappé à une fessée mais j’ai perdu plus de trois heures à traîner. Il faut absolument que j’aie fini avant minuit. Le tic-tac de la pendule me rend fébrile. Mon Dieu que je suis bête parfois !

J’essaie de rassembler mes pensées, sans plus me préoccuper de lui. Je sens son regard insistant mais je fais mine de ne pas le remarquer.

Je pianote sur mon clavier, puis me relis et efface, frénétiquement. Après avoir supprimé mes quelques lignes pour la cinquième fois, je n’arrive plus à contenir mon agacement.

«  Arrête, oui ? Tu ne m’aides absolument pas comme ça ! Retourne à tes trucs et fous-moi la paix ! »

Il ne prend même pas la peine de me répondre ou de me gronder. Ce qu’il peut m’énerver quand il fait ça, c’est pas croyable ! J’envisage une seconde d’aller travailler ailleurs mais ça ne résoudrait rien au problème.

Résignée, je souffle pour me donner du courage.

Je crache entre mes dents ma reddition.

« C’est bon, tu as gagné ! Tu es content ? Mais pas longtemps, alors… j’ai du travail quand même ! »

Je me lève, balaie rapidement mes affaires du plat de la main. En le défiant du regard, je fais glisser ma jupe à mes pieds et me penche sur la table libérée de mon bazar. Il monte en pression et j’éprouve une certaine satisfaction sadomasochiste à savoir que j’en suis la cause.

« Bon, c’est pour aujourd’hui ou pour demain ? J’ai froid, moi ! »


Commentaires

Les plus lus du moment