Souffler le chaud et le froid

(Ou juste une histoire de température...)


" Tu rajoutes pas de cannelle ? "
" Ma maman ne fait pas comme ça... "
" L'ordre c'est important. "
" Tu devrais goûter de temps en temps. "
" Eh mais j'suis pas ton cobaye ! "

Il cuisinait - pour notre bien ! Après tout, nous devions manger ensuite. Je l'embêtais un peu. Il avait été surpris que je vienne le rejoindre en cuisine. D'ordinaire, je le laissais en paix et même je fuyais de peur qu'il ne me prenne pour son commis, corvéable à sa merci. Mais là, j'avais poussé la porte, attirée par l'odeur de pommes au four. J'étais étonnée, il était salé d'habitude, il ne s'aventurait que rarement hors de ses sentiers battus. Si je voulais un dessert ou un goûter, je prenais le soin d'en rapporter un ; lui n'y songeait jamais. 
Au début, il m'avait fait les gros yeux : déjà que je fais un effort pour toi, ne me fais pas regretter. Et puis, j'avais insisté : je suis nulle aux fourneaux mais j'ai de la théorie, alors il m'avait écoutée. Et puis, sans doute grisée par son attention, j'en avais rajouté, juste pour le taquiner un peu.
" Ah tu vois j'ai raison. "
" Je te l'avais dit... "
Il souriait mais je sentais que je tentais le diable. J'avais continué à tâtons. Mais sans prévenir, j'avais ressenti une légère brûlure sur le haut de ma cuisse. Je me baladais chez lui vêtue d'un simple t-shirt à manches courtes, trois fois trop grand pour moi, mal m'en prit. Il m'avait fouettée avec un torchon. Prise par surprise, je cuvais ma douleur.
" Calmée ? "
Je hochai la tête, tout en lui lançant un regard de reproches. Pas à froid comme ça, quand même.
" Et encore, j'aurais pu y aller plus fort... File. "
Il m'énervait quand à demi-mot il me disait que j'étais une chochotte et pourtant je lui étais reconnaissante de s'être maîtrisé. Comprenant que je n'allais rien y gagner de bon, je quittai les lieux. Incident clos ?
C'était ce qu'il croyait. Je l'avais trouvé un peu fourbe. Il m'avait punie avant même un avertissement. J'avais du mal à passer à autre chose. Le minuteur du four retentit : il l'avait mis en route. Satisfait de ses prouesses culinaires, il sortit enfin de la cuisine. Il n'avait pas fait trois pas qu'il se prit un coussin en pleine face. N'étant pas tout à fait inconsciente, j'avais pris soin de vérifier qu'il avait bien les mains libres. Je m'en serais voulu de casser quelque chose en prime.
Le regard qu'il me lança alors ne me dit rien qui vaille, je pris la fuite en direction du salon. J'aurais d'autres munitions là-bas. Il me rejoignit en quelques enjambées. Il se reprit un autre coussin dans la tête avant d'intercepter le suivant. J'étais à court, tous les coussins étaient de son côté. Il m'en relança un, bon prince. Je n'eus pas le temps de l'esquiver mais il tomba à mes pieds. Je le ramassai, il fit de même avec les deux autres, de son côté.
" C'est pas juste... T'es plus fort et tu en as un de plus... 
- Viens le chercher Caliméro ! "
C'était un défi en bonne et due forme, je ne pouvais y résister. Je savais pourtant que je me jetterai dans la gueule du loup. Mais j'espérais (pas si) secrètement qu'il me morde.
Je pris mon coussin en bouclier et avançai prudemment. Arrivée quasiment à sa hauteur, je donnai des coups dans le vide, aussi forts et désordonnés que je pouvais. Je me disais que ça allait le déstabiliser et surtout me donner le temps de prendre son fichu coussin. Et avec un peu de chance, il prendrait un ou deux coups dans la figure en prime.
J'étais en train de saisir l'objet convoité quand mauvais joueur, il me le retira des mains, m'assénant un coup sur la tête. Un peu sonnée et surprise, je perdis l'équilibre pour tomber aussitôt dans ses bras. J'essayais de me libérer mais peine perdue, il n'allait pas me laisser filer aussi facilement. J'avais joué et perdu.
Il commença à m'attacher à une chaise du salon. Je tentais de jouer sur les nœuds mais c'était du solide.
J'aurais tellement aimé que notre bataille de polochons dure plus longuement, il me laissait sur ma faim.
" Voyez-vous cela, un joli vilain petit poisson dans mes filets, que vais-je en faire ? Mon repas du soir ? "
Je soupirais en levant les yeux au ciel, il se croyait drôle en plus. J'avais pas fini de souffrir.
Soudainement, le four fit bip bip, et une odeur de brûlé nous alerta.
Il courut à la cuisine, je l'entendis jurer. Et mince, le gâteau était foutu, avec mes bêtises ! J'allais être doublement punie. Une fois par lui, une autre par l'absence de dessert.
La mine noire, il revint dans la salle.
" Je suis désolée... C'est récupérable ? On peut enlever le cramé... Manger le reste ? "
Vu la tête qu'il tirait, j'avais juste envie de lui dire, comme ma grand-mère quand elle voulait me dérider quand j'étais petite : "fais risette à papa nez gros !", mais je n'osai pas.
" Ce n'est pas vraiment de ta faute...
- Ta faute... 
- Pardon ?! "
Je me mordis la langue, je choisissais bien mon moment pour le reprendre...
" On dit "ta faute", pas "de ta faute" mais bref... Même si tu es aussi fautif que moi, je suis désolée quand même. "
Il me fusilla sur place. Pourtant je crus déceler une lueur espiègle, en cherchant vraiment bien, au fond de l'iris, vers la gauche.
" Bon, il est foutu, et tu n'y es pour pas grand-chose... Par contre, le coussin dans la tête... Là, c'est autre chose. "
Je rougis d'embarras, une goutte de sueur dégringolait déjà le long de mes vertèbres. Et pourtant, même en me mordant la lèvre inférieure et baissant les yeux, il ne pouvait l'ignorer : j'avais gémi d'anticipation. À quelle sauce voulait-il me manger encore ?
Il me détacha de ma chaise, me mit à nu. Je ne cherchais plus à esquiver, je voulais savoir ce qu'il me réservait. Il m'étendit par terre, le plancher était froid dans mon dos mais je ne dis rien. Me contentant de frissonner silencieusement. Il lia mes chevilles aux pieds de la table pour me forcer à les écarter. Il me mit les mains derrière la nuque et me contraignit dans cette position assez inconfortable. Les coudes touchant le sol.
Je ne sais pas pourquoi mais je suis toujours très embarrassée quand je lui montre aussi impudiquement mes aisselles, bien plus que quand il a accès à mon cul, d'ailleurs. C'était parfaitement ridicule mais je piquai un fard. Il s'en amusa. Il alla chercher je-ne-sais-quoi et revint. J'avais profité d'être seule pour calmer ma respiration qui s'emballait tant de froid, que de frousse.
Son sourire sadique, même s'il m'enflammait, me glaçait sur place.
Inspire, expire. Tout ira bien.
Mon petit mantra en boucle, j'osai enfin croiser son regard. J'eus un coup au cœur. Non, tout n'irait pas bien, il allait faire en sorte de tester ma résistance comme je testais sa patience à longueur de temps.
Je souriais pourtant, c'était de bonne guerre.
Il commença par m'énerver. Littéralement. Passant une plume sur mon corps offert à ses caresses abominables.
C'est dans la tête, c'est dans la tête.
Je soufflais comme un bœuf pour tromper la sensation. Et puis soudain, alors qu'il était près de mon nombril ma maîtrise bouddhiste atteignit ses limites. Comme un élastique qui rompt sans prévenir.
Mon pauvre corps se tordit dans les cordes, en vain. Je ne pouvais pas échapper à ce contact démoniaque. Et lui, fier comme un sale gosse de m'avoir fait sortir de ma zénitude feinte, s'en donnait à cœur joie.
Oh le saligaud !
Il avait remplacé sa plume par un glaçon qu'il manœuvrait entre ses lèvres.
Je haletais de froid. Mes terminaisons nerveuses étaient mises à rude épreuve. Je n'arrivais plus à lui parler depuis quelques minutes. Des gargouillis sortaient de ma bouche sans réel sens autre que ma détresse. De temps en temps, il laissait échapper un petit rire de gorge, preuve que me torturer lui plaisait beaucoup.
C'était étrange, je ne me sentais pas vraiment punie. Il me mettait à l'épreuve certes, mais c'était plus comme un jeu, un défi qu'une sanction. Il ne me répétait pas comme d'habitude que j'avais exagéré, fait une bêtise. Là, il jouait juste de mon pauvre corps sans défense, touchant les cordes sensibles. Il aurait pu me fouetter une heure, ça n'aurait jamais autant d'effets que sa douceur qui tapait directement en plein nerf pour résonner dans toute ma carcasse. Un diapason infernal.
Je me débattais dans mes liens contre moi-même, je voulais être capable de supporter son supplice. Je n'avais même plus la présence d'esprit de lui dire d'arrêter. Je recevais, il donnait. La règle était claire. Je n'avais qu'à suivre le rythme. Le sien.
Le glaçon termina sa course sur mon mont de Vénus, il n'était plus que flotte glacée. Mon tourmenteur l'aspira alors bruyamment. Je fermai les yeux pour disparaître, sans succès. Sa langue tourna encore autour de mon clitoris pour le faire sortir, sans jamais le toucher réellement. Je gémissais, je ne savais même plus pourquoi. Je lui demandais silencieusement grâce sans jamais être exaucée. Au contraire, il me maltraitait avec plus de convictions encore.
Brusquement, je ne sentis plus la chaleur de sa peau sur la mienne. J'ouvris les yeux à sa recherche. Il traficotait Dieu savait quoi. Il me regarda d'un air énigmatique, faussement sévère.
" Ferme les yeux, ou je te les bande. "
J'obéis aussitôt, par habitude. Bien dressée quand je ne le voulais plus.
Tout à coup, chaud. Je criai. Je battis des cils. Je le vis, une bougie à la main, il s'appliquait à tracer des arabesques dignes d'un maternel sur mon pauvre épiderme hérissé.
" Non, stop. J'en peux plus... "
Il ricana. Il savait que j'avais peur du feu et que ça allait être dissuasif pendant quelque temps. Il ne tint pas compte de mes geignements, de mes supplications. Mon corps allait très bien, c'était mon esprit le froussard. J'avais encore de la ressource, seulement je ne le savais pas encore.
Je fixais alors la pendule sur le mur à ma gauche. Je me contorsionnais un peu pour ne pas quitter la trotteuse. Ce faisant je lui offrais un angle beaucoup trop sensible. Ma respiration était sifflante, je retenais un cri strident par moment. Un tour. Un autre. Il ne s'arrêterait donc jamais ?
Je savais que je n'avais qu'un mot à dire et ce serait fini mais non, je ne voulais pas prononcer pangolin. Prononcer mon mot de sécurité, je le vivrais comme un échec. Il ne l'ignorait pas et dès lors faisait de moi ce qu'il voulait. Dans les limites du raisonnable, ou plutôt son raisonnable.
Subitement, je me mis à sangloter. J'étais à bout. C'était le signal qu'il attendait visiblement. Me faire craquer.
La cire cessa ainsi de couler. Il me détacha en douceur, massant mes muscles endoloris. Me chuchotant des trucs réconfortants que je ne comprenais même plus. Il me mit debout, m'appuyant sur lui, je me rendis alors compte que mes cuisses étaient plus poisseuse que si j'avais joui. Je rougis, je détestais pourtant quand il jouait avec mes nerfs, je n'aurais jamais de résistance de ce côté-là. Une petite poupée malléable à l'envi.
Il m'amena dans sa baignoire, prit un gant de toilette pour me frotter et retirer les derniers morceaux de cire. Je ronronnais presque en me laissant faire. Je n'étais plus qu'une loque en milieu aquatique à présent. Il me savonna un peu et me laissa finir de prendre mon bain toute seule.
" Tu t'endors pas, hein ? On mange dans cinq minutes. "
Il m'embrassa sur le front distraitement. Je grognai pour acquiescer et il partit dans la cuisine.
" De toute façon, je reviens te chercher si tu traînes trop... Par la peau du cul... ou avec un doigt de gingembre, si tu insistes... "
Je souris à sa remarque carnassière, il me donnait presque envie de somnoler un peu. Mais l'eau se refroidissait vite et je sortis à regret. Emballée dans la grande serviette, j'attendais que la chaleur de la pièce me sèche. Il me trouva assise sur le rebord de la baignoire en bayant aux corneilles. Il claqua sa langue d'agacement me faisant sursauter.
" C'est pas très efficace, tout cela. Viens là. "
Je dus lui faire pitié car il fut très doux, sans me brusquer. C'était rare de sa part. Je bâillais à m'en décrocher la mâchoire, m'en moquant pas mal que ce ne soit pas très poli. Au moins, cette nuit, je n'allais pas l'empêcher de dormir, ni demain de profiter d'une grasse matinée.
Une fois sèche, il m'enfila mon t-shirt/chemise de nuit. Je mis un châle sur mes épaules et on s'attabla enfin. Le repas fut délicieux, comme à l'accoutumée. Au moment, du dessert, j'allais discrètement prendre un yaourt dans le frigo, pour ne pas retourner le couteau dans la plaie, quand il me proposa, un sourire narquois pendu à ses lèvres.
" Tu veux de la glace ? "
Je lui tirai la langue mais acceptai.
" Fruits rouges, de la même couleur que la cire, ça te va ? "
Évidemment, j'aurais dû m'en douter... Heureusement qu'elle était bonne.




 



Commentaires

  1. Joli texte, très sensuel... Il ne faut pas tenter le diable ou quand on joue avec le feu, il faut accepter de se bruler. Et le maître au final, sait comment surprendre jusque dans sa réaction celle qui entre ses mains devient une une "petite chose ".

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    1. Le jeu en vaut toujours la chandelle, il faut juste faire attention au retour de flamme^^

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  2. "Mon corps allait très bien, c'était mon esprit le froussard..." Excellent!

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    1. Bien souvent le corps a ses entêtements que la tête ne maîtrise pas 😉

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