Pas ce soir Trésor


Il attrapa son bras. Une grimace de surprise mêlée de dégoût déforma la bouche qu'elle aimait tant. Il recula d'un pas, sans la lâcher. Elle suivit le mouvement. Docile. Et contrainte.
Il faisait le tour complet de son biceps. Qui avait fondu récemment. Il avait même encore de la marge. Même avec le bourrelet de laine de son pull.
Il ne s'attendait pas à ça. Ses vêtements, amples, camouflaient son corps comme d'habitude. Certes ses pommettes semblaient plus hautes, mais elle n'avait pas l'air si décharné pourtant.
Il eut soudain besoin d'en avoir le cœur net. Il lâcha son fouet au sol. Un claquement qui fit sursauter le petit oiseau qui lui servait de proie. À l'occasion. Il entendait les battements erratiques de son palpitant, à moins que ce fût le sien. Il retira son haut. Elle se laissait faire, étonnée. Elle avait l'impression qu'un rien allait faire exploser sa colère. N'étant pas en mesure de la subir, elle faisait profil bas. Elle cherchait confusément sa faute originelle pour déclencheur. Elle n'arrivait pas à se souvenir.
Ses quelques impertinences n'avaient rien à voir. Elle en était persuadée.
Elle eut froid. Mais elle n'esquissa pas un geste pour se recouvrir. Il avait ramassé son fouet. Sa culotte n'était qu'un maigre rempart, ce n'était pas le moment de le contrarier. Ni de désobéir. Il n'avait donné aucun ordre. Alors elle attendait. Perplexe.
Il fixait son dos. Voûté. Par la peur et l'oisiveté. Sa colonne ressemblait à une frontière, comme un équateur sur une mappemonde séparant deux hémisphères. Il aurait presque pu compter chaque vertèbre tant elles ressortaient. Comme pour un vieux chat efflanqué. Mais elle n'était ni âgée, ni greffier. Il avait envie de la punir de se laisser aller ainsi. Il se retint. Ce n'était pas son rôle. Il respira un grand coup. Elle retint son souffle. Elle ne comprenait rien de ce qui se jouait. Sa peur suintait de tout son être. Elle ne savait plus comment la cacher. L'odeur âcre de sa sueur emplit la pièce, elle voulait se cacher plutôt que de subir ça, mais elle restait. Plantée là où il l'avait laissée. Elle se disait bien qu'elle devrait dire quelque chose mais rien ne venait. Alors elle se taisait cherchant un réconfort incertain dans ce silence qu'elle avait pourtant envie de briser.
Il regardait encore son dos. Ses côtes apparentes semblaient la garder en cage. Sa nuque brisée de crainte piquait assurément vers le sol. Ses minuscules grains de beauté avait l'air si gros sur cette surface diminuée. Et si petits, noyés dans les autoroutes bleues et vertes de ses veines qui coloraient sa peau fine et pâle. Pensivement, il fixa son fouet, lui demandant si c'était raisonnable. Il avait l'impression que le moindre coup la ferait saigner. Méchamment.
Bien sûr, elle avait toujours eu les omoplates joliment saillantes, leur élégance lui donnait d'ailleurs envie de les immortaliser. Encore et encore. Mais à présent, elles pointaient véritablement vers le ciel. Comme des ailes qui ne demandaient qu'à s'épanouir. Et fuir dans la nature.
Non, il ne pourrait pas. Elle allait être déçue. Tant pis.
Il laissa tomber son fouet. Une bonne fois pour toutes. Elle tressaillit sans savoir réprimer son sursaut.
Il chopa le premier coussin venu et le laissa tomber dans un coin.

- Assieds-toi. Je reviens te chercher.


Il vit ses lèvres fines se faire mordiller par ses petites dents ivoire. Le regard le fuyant, elle fixait obstinément un point invisible et lointain. Elle hésita. Puis, rejetant discrètement les épaules en arrière, elle vint à lui et chut à ses pieds. Comme un bimbelot de chiffon. Il eut peur un instant qu'elle défaillît, mais, elle se plaça correctement à genoux. Les rotules protégées du sol par le coussin et les talons soutenant ses fesses amaigries. Les paumes ouvertes sur ses cuisses, elle avait presque l'air serein. Les yeux mi-clos, elle semblait enfin à sa place, à ses côtés. Elle s'interrogeait seulement : combien de temps cette pénitence inhabituelle allait bien pouvoir durer. Gardant les paupières fermées, elle frémit légèrement, en le sentant s'éloigner un peu. Il s'assit sur le canapé, non loin d'elle et prenant un bouquin, il se plongea tranquillement dans sa lecture. Elle ne savait simplement pas encore qu'il ne comptait lui donner que cela pour ce soir.



Non stasera, Sole mio!  
Inte ikväll, min Älskade! 
¡No esta tarde, Cielo! 
Nicht heute Abend, Mausi! 
Ei tänä iltana, Kulta! 
Not tonight Darling!





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