Midi moins le quart…
Dans ce village suisse … ou dans un autre. Confortablement installée dans mon fauteuil, je regardais une dernière fois par la fenêtre. Le chalet que j’avais loué pour mon dernier séjour était adorable, digne des contes de fées ou bien tout droit sorti de Heidi. Les rideaux en crochet et dentelle ne protégeaient pas réellement du voisinage mais qu’y aurait-il eu à cacher dans ce petit hameau paisible et retiré de tout ?
Soudainement lasse, je fis signe que j’étais prête. En regardant les gouttes tomber dans le tube. Absorbée par le goutte-à-goutte, j’entendis vaguement les cloches annoncer la demie, dans le lointain. Une dernière fois, je m’adonnais sans m’en rendre compte à mon passe-temps favori. Par habitude, je me suis demandé ce que ce moment pouvait signifier pour d’autres, dans ce vaste monde.
Onze heures et trente-et-une minutes, un spermatozoïde agitant son flagelle devenait une promesse de vie.
Onze heures et trente-et-une minutes, un ivrogne malheureux louvoyant dans la rue manquait de se faire percuter.
Onze heures et trente-et-une minutes, un bambin éclatait de rire ; contagion dans le métro.
Onze heures et trente-et-une minutes, un cambrioleur désemparé voyait la clef tourner lentement dans la serrure.
Onze heures et trente-et-une minutes, un nouveau-né poussait son premier cri.
Onze heures et trente-et-une minutes, un dernier shoot avant d’arrêter.
Onze heures et trente-et-une minutes, un homme était passé à tabac dans une ruelle sombre.
Onze heures et trente-et-une minutes, un enfant tombait en courant dans une cour de récréation.
Onze heures et trente-et-une minutes, un boucher étranglait sa femme.
Onze heures et trente-et-une minutes, le son d’un violon pleurait sa détresse dans un opéra.
Onze heures et trente-et-une minutes, un chirurgien réparait un cœur condamné.
Onze heures et trente-et-une minutes, une voiture sortait de l’usine.
Onze heures et trente-et-une minutes, une femme disait oui à son fiancé.
Onze heures et trente-et-une minutes, un patron virait un employé.
Mais lui ? Que faisait-il ? Peut-être avait-il préparé le repas … Ou allait-il s’y mettre ? Était-il en retard, aujourd’hui – comme bien souvent d’ailleurs ? En désaccord avec ma décision, il m’avait laissée faire seule ce voyage.
Le cerveau déjà embrumé, mes yeux se posèrent machinalement sur la grande horloge : 11 h 33. Fatalement les minutes défilaient et déjà, ce qui était vrai pour 11 h 31 devenait peut-être à présent mensonge.
Mon esprit se cabra. Je demandais alors après lui. Vainement. On m’avait assurée que je ne ressentirais rien. Mais qu’en savaient-ils vraiment finalement ?
Noyade … Un désordre intérieur tu pendant de trop longues années me rattrapait subitement. Cherchant des choses illusoirement réconfortantes, je me laissais alors m’enfoncer dans le fluide, n’ayant plus la force de lutter contre la solution médicamenteuse.
Le temps n’avait de valeur que celle qu’on lui accordait.
À midi moins le quart, je n’étais déjà plus.
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