Une vie en kit
Je suis né en Suède, il y a 40 ans. Je m’appelle Bjorn, je suis brun. Mes parents n’ont pas voulu d’autres enfants, pour protéger la planète. J’ai eu un chien, il est mort quand j’avais 12 ans. C’est triste.
Après l’université, j’ai voulu être traducteur : le secteur étant bouché, je me suis retrouvé à traduire des notices puis après à les écrire pour un grand magasin de meubles national. Ça a payé les factures et les conserves, pendant un temps.
Alors que j’ai grandi en banlieue herboisée, je vis dans la capitale. J’ai longtemps vécu dans une miteuse chambre de bonne puis j’ai été expulsé. Je me suis retrouvé à la rue quelques jours avant de revoir par hasard des amis de mes parents. Ils ont eu pitié. Et ils m’ont fait profiter de l’incroyable hospitalité propre aux gens du Nord. Ils me permettent d’occuper leur sous-sol inoccupé.
D’un grenier, je passe à une cave : pour l’ascension sociale, c’est raté.
Depuis que je suis môme, je rêve d’être écrivain. Au début, je le disais à ma famille, à mes amis. Mais comme cela n’a jamais été suivi d’effet, j’ai arrêté. Je voyais bien qu’on ne me croyait plus de toute manière. Pourtant, je n’ai pas abandonné. Parfois, je vais dans un parc de Stockholm et je m’assois. Je regarde les pigeons et les gosses courir. J’attends l’inspiration. Elle ne vient jamais. Alors je rentre dans ma cave et attends que la journée se termine, roulé en boule sous ma couverture.
J’ai eu quelques aventures à la fac. Un futur écrivain, ça emballe facilement… maintenant, c’est plus compliqué. Tant pis.
Je n’ai pas d’enfant, tout le monde pense que c’est par conviction écologique et me félicite. On est peut-être trop nombreux sur Terre et le monde dans lequel on vit ne fait pas vraiment rêver, mais à la vérité qu’est-ce que j’aurais fait d’un bambin ?
Mon livre, mon art s’écrit tout de même petit à petit. Quand j’y croyais encore, je m’étais acheté un petit carnet Moleskine. Il se remplit peu à peu. Mais jamais lors de mes sorties au parc. C’est lorsque je tombe de sommeil mais que je me force à garder les yeux ouverts que je suis le plus efficace. Enfin, je couche cinq lignes sur le papier en me disant que la journée n’a pas été si affreuse que cela.
Parfois, dans un état second à cause de la fatigue, je me prends à rêver : mon carnet sera mon œuvre, celle de toute une vie. Que je lèguerais à la postérité. Puis reprenant peu à peu mes esprits, je me morigène intérieurement : les contes de fée n’existent pas.
Et puis reprenant courage : je serais le Michel Houellebecq suédois ou rien ! C’est grâce à cette volonté farouche qu’aujourd’hui, je publie mon premier roman.
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