Mille et une huîtres
Il faisait beau aujourd’hui. On était mardi. Luc
guettait impatiemment l’arrivée d’une silhouette familière, à travers la
fenêtre. Il aimait les mardis. Le fond de l’air était encore frais et les
prunus fleurissaient déjà. Une jolie vue tout ça. Les cheveux bleus tant
attendus firent alors leur apparition. C’est qu’elle détonnait, sa petite
Sarah. De loin, on aurait dit qu’elle avait ajouté des mèches rouges à sa
crinière cobalt, mais ses sens lui faisant progressivement défaut, il n’aurait
pas pu le jurer. Sur une autre fille, il aurait trouvé ça vulgaire et ne se
serait pas privé de le dire. Sur Sarah, c’était différent. D’ailleurs tout
était différent avec cette môme. Il en était gaga et il ne faisait aucun effort
pour le cacher.
Sarah, bien consciente d’avoir les
faveurs de son grand-père, en profitait parfois, mais si elle lui rendait
visite toutes les semaines, c’était par choix et non obligation ou bien cupidité.
Certes sa famille était riche mais elle n’était pas du genre à s’obliger à
faire quelque chose pour obtenir du rab d’argent de poche ainsi. Elle aimait la
compagnie de ce vieil homme. Sincèrement.
Comme à son habitude, l’odeur de
détergent mêlé aux parfums désuets des habitants de l’EHPAD lui fit froncer le
nez quand elle pénétra dans le bâtiment. Machinalement, elle sortit alors son
propre flacon et vaporisa généreusement autour d’elle. Son grand-père
appréciait cet effluve et elle ne se souciait pas de gêner les autres. Ils lui
imposaient bien leurs odeurs, de toute manière. Dans l’ascenseur, elle
ébouriffa ses cheveux arc-en-ciel et, devant le miroir, se tira la langue. Une
sorte de rituel, à présent. Son rituel. Il lui fallait un peu de courage. Elle
détestait cet endroit : la mort avant la mort.
Une heure plus tard, elle était
installée confortablement et faisait la lecture à son aïeul. Si au départ elle
trouvait cela saugrenu, elle aimait à présent être les yeux de son grand-père.
Parfois, ils jouaient à TV voisins. Ils se plaçaient devant la fenêtre et
imaginaient la vie des gens qui défilaient. Pourquoi ils s’engueulaient ?
Rupture ou querelle de famille ? Et là-bas, ceux qui s’embrassaient ?
Couple légitime ou adultère ? Cela faisait passer le temps. Parfois son
grand-père gardait le lit et elle y jouait toute seule, racontant tout ce qui
lui traversait l’esprit. Ces jours-là, si elle arrivait à lui faire décrocher
un petit rictus amusé, elle avait gagné sa journée. Elle ne devait pas trop
escompter plus. Ce voyeurisme les divertissait un temps puis ils passaient à
autre chose. Aujourd’hui, elle lui avait ramené le journal.
« Alors ma petite, que se passe-t-il dans ce vaste
monde ? »
Elle s’était alors lancée dans la lecture d’un article.
Une histoire peu banale s’est déroulée dans la région.
La rubrique nécrologique annonçait il y a quelque temps la disparition trouble
de Loïc Le Guen. Pêcheur et marin expérimenté, il avait péri en mer. L’enquête
avait conclu à un suicide puisqu’aucune autre cause ne pouvait expliquer le
drame. La mer était calme, le coin tranquille, le bateau avait été contrôlé
récemment. La police n’avait pu qu’en déduire un acte délibéré.
« Ah oui, je me souviens. Tu me l’avais raconté,
non ? »
Sarah avait opiné, en souriant. Au moins, le vieux
avait encore toute sa tête, pour un moment. C’était rassurant.
« Oui, Grand-Père. Mais justement, on dirait qu’il
y a du nouveau dans l’affaire.
- Raconte vite alors. »
Quand ils étaient tous les deux, Luc devenait la pire
commère du bâtiment – la concurrence était pourtant rude – alors que tout le
monde le pensait taciturne. Sarah était honorée d’être la seule à connaître ce
trait de caractère.
L’article se poursuivait alors de bien curieuse façon.
De manière peu conventionnelle, une longue capture d’écran d’un blog y avait
été insérée. Elle continua sa lecture.
Blog du Dragon Blanc.
Librement inspiré. Trouvé
aujourd’hui dans les affaires de feu mon oncle, un petit carnet. Ce blog a pour
ambition d’en garder une trace.
Au commencement était un
pêcheur. Simple et heureux. Un jour, au lieu de sa pêche habituelle, dans une
huître, il trouva une perle. Belle et pure. Un fait extraordinaire dans le
coin ; il le connaissait bien et de mémoire d’homme, il n’en avait jamais
été question. Il se sentait privilégié et le soir même, étant croyant, il alla
rendre grâce à la Sainte Vierge dans l’église du village. Loïc, le pêcheur,
pensait alors reprendre le cours de sa vie normale, gardant son précieux trésor
secret. Il avait bien trop eu affaires avec les hommes pour ignorer leur
tempérament jaloux. Vivons heureux, vivons cachés, disait le proverbe. Leçon
qu’il s’efforçait d’appliquer à la lettre. Il tenait un petit journal dont
personne ne connaissait l’existence et cela lui suffisait pour soulager son
cœur. À ses amis de la taverne, il ne parlait que de météo ou bien du goût de
la cuvée de cidre. En revanche, il écoutait. Oreille attentive et quelque peu
en retrait, il savait être d’un grand réconfort lorsqu’on venait se confier. Sa
vie était simple et il se contentait de peu. Il était content. Bien sûr, si la
jolie Morgane avait daigné poser ses yeux sur lui, il n’aurait pas dit non mais
il semblait que les sentiments n’étaient pas réciproques et il n’osait pas
aller l’importuner.
Le lendemain, il trouva
encore une huître perlière. Vraiment étrange. Il retourna à l’église pour
remercier le sort. Le surlendemain et toute la semaine, il continua à trouver
chaque jour une perle, au lieu de sa pêche habituelle. Il n’oubliait jamais d’aller
mettre un cierge en offrande par gratitude. Les paroissiens et le curé avaient
bien noté ce changement d’attitude mais quel croyant aurait pu s’en
plaindre ? Ils ne firent aucune réflexion. Seulement un léger sourire de
connivence quand ils le croisaient. Loïc vivait sur ses réserves ; il
avait quelques sous de côté et cela lui permettait de se nourrir et payer les
factures puisqu’il ne se rendait plus à la criée pour vendre le produit de son
labeur. Sa collection s’étoffait peu à peu, au fil des jours, des semaines et
bientôt des mois. Il n’allait plus sur le port comme commerçant mais en tant
que client. Et il passait moins de temps
à la taverne, faisant attention à ses dépenses. Sa mère venait de mourir, lui
laissant un héritage confortable. Dans le coin, on commençait à jaser mais il
n’en avait cure. D’aucuns disaient qu’il était devenu paresseux en devenant
plus riche ; il les laissait dire. La belle Morgane, s’inquiétant, lui
avait adressé la parole pour lui demander de ses nouvelles, il n’en fallait pas
plus pour le combler. C’est alors que, comptant ses perles, il se mit en tête
d’en faire une sorte de tenture brodée. Il lui offrirait lors d’une prochaine
fête du village pour lui demander sa main. Loïc était vieux jeu et l’assumait
très bien. Il se souvenait vaguement d’une légende que sa mère tahitienne lui
racontait avant de dormir et sa mémoire fatiguée l’avait métissée avec un mythe
grec de tapisserie. Rien n’était très clair dans son esprit. Rien, sauf sa
volonté de tisser son cadeau pour sa belle. Dieu – ou bien les dieux ? –
ne l’avait toujours pas abandonné et il pêchait chaque jour une petite perle.
Il avait revu ses habitudes et son train de vie mais l’idée de peut-être serrer
Morgane dans ses bras semblait littéralement lui faire pousser des ailes. Il ne
savait pas exactement à quoi ressemblerait son ouvrage une fois fini, il aimait
la sensation de se laisser porter par l’inspiration du moment et surtout par
l’amour pour son aimée. Comme une femme, dans les histoires maternelles, il
tissait. Il y prit même goût. Au fur et à mesure des semaines et des mois, tout
cela prenait forme. Son rituel était devenu immuable. Il se levait, allait
pêcher, trouvait sa perle, allait prier. Durant plus d’un an à présent, il
savait comment occuper ses journées. Parfois, il se rendait à la taverne et
continuait à ne rien dire à personne. Il se contentait d’écouter les malheurs
de ses voisins et leurs prédictions quant à la météo du lendemain.
La patience payait peu à
peu. Il eut bientôt presque mille perles. Puis il atteignit ce chiffre.
L’ouvrage était bientôt fini. À ses yeux, il ne manquait plus qu’une toute
petite perle et tout serait terminé. Il irait ensuite voir Morgane. Il n’était
pas sot, il savait que ses perles valaient à elles seules un joli pécule qui
lui permettrait de couler des jours heureux, à l’abri du besoin. Mais Loïc
était aussi un grand romantique et finir sa tenture lui importait plus que
n’importe quelle fortune, si Morgane lui disait oui. Son ouvrage était
ambitieux mais comme il s’était senti béni des dieux, il ne voulait pas
réfréner ses envies de grandeur.
Le lendemain, après avoir
brodé la millième perle, il prit le chemin de la plage, selon son rituel. Tout
se déroula, comme à l’accoutumée. Tout ? Non. Ce jour-là, il n’y eut pas
de perle. Il eut beau chercher : rien. Il se rendit tout de même à
l’église pour tenter de comprendre. Il croisa par hasard Morgane, sur le
chemin. Il en rougit de honte. Il lui manquait une perle. Il abrégea la
conversation poliment et s’enfuit presque en courant. Les jours qui suivirent
se ressemblaient. Il cherchait désespérément. Vainement. Il se rendait à
l’église, quémandant un dernier miracle. En vain. Il ne perdait pas la foi pour
autant. Il se demandait ce qu’il avait bien pu faire de mal pour que la chance
l’abandonnât ainsi. Il ne rejetait pas la faute sur la Vierge ou bien le
Seigneur. Il cherchait où il aurait pu fauter, se demandant si son péché était
capital. Cela faisait quelque temps qu’il n’avait pas croisé l’élue de son
cœur, et il s’en sentait soulagé. Qu’aurait-il pu lui dire ? La jeune
femme semblait parfois désireuse de faire plus ample connaissance. Son aura de
mystère semblait l’attirer. Mais il s’était promis de ne lui parler que
lorsqu’il aurait fini son œuvre. Une promesse était une promesse et il ne
pouvait pas se résoudre à s’arranger et marchander avec lui-même – et peut-être
même des forces divines, qui sait ? Il aurait l’impression de tricher.
Quelle horreur ! Loïc était un homme droit et intègre. L’amour était censé
rendre un homme meilleur. Il lui était insupportable de devenir un homme petit
et mesquin. Comment pourrait-il encore se regarder dans une glace ?
Alors, il chercha où la
machine si bien huilée aurait pu se gripper. Regardait-il au bon endroit ?
Avait-il eu de mauvaises pensées ? Péchait-il par orgueil ?
Devrait-il malgré tout modifier sa tenture pour seulement mille perles ?
Ne priait-il pas assez ? N’en demandait-il pas trop ? Fallait-il
demander ? Simplement remercier ?
Mille questions trottaient
dans sa tête. Sans lui laisser le moindre repos. Son esprit en ébullition, il
devint taciturne. Obnubilé par cette dernière perle qui lui échappait. Si près
du but. C’était à se taper la tête contre un mur. Mais il s’exhortait à la
mesure et continuait son rituel, à présent devenu inutile. Il n’allait quand
même pas se jeter du haut de la falaise comme les amoureux éconduits, alors
qu’il ne s’était pas encore déclaré ?
Il repassait tout en
revue. Où était ce maudit grain de sable ?
Croyant et superstitieux,
il se demandait si le Diable ou bien L’Ankou ou un autre ne l’avait pas
ensorcelé. Au village, il n’ignorait pas que certains le jalousaient, d’autres
se questionnaient sur sa folie supposée. Peut-être qu’une âme malveillante avait
fait appel à des puissances malfaisantes ? Était-ce réellement possible,
finalement ?
La capture d’écran
s’arrêtait là. Le blog appartenait à un certain Erwan Le Guen, selon l’article.
« C’est bien
trouvé, le nom du bog ! »
Luc avait parlé
presque pour lui-même.
« Le blog,
Grand-Père ! Avec un L. »
Sarah s’amusait
toujours lorsque le patriarche écorchait les mots liés aux nouvelles
technologies. Luc haussa les épaules.
« Pourquoi tu
dis ça ?
- Erwan, le dragon en breton et guen, blanc.
- Ah…
- Tu n’apprends donc rien à l’école ?
- Pas le bretoneg, en tout cas. »
Luc avait continué sur sa diatribe
habituelle : le délitement des programmes de l’éducation nationale. Un
ancien prof ne se refaisait pas. Sarah était alors partie dans un grand éclat
de rire qui avait contaminé son grand-père. Son rire était irrésistible.
« L’article continue ? »
Luc était devenu curieux au fil de la
lecture. Comment cela allait-il finir ? Et surtout pourquoi était-ce digne
d’intérêt pour un journal, fût-il local ?
L’article continuait bel et bien.
« Oui, Grand-Père. Ça raconte
ensuite la quête du journaliste. Oh, regarde, il a fait la même déduction, tu
aurais fait un formidable investigateur, toi aussi.
-
Hum… Un
cancanier, non merci. »
Sarah ne pouvait
s’empêcher de sourire quand Luc jouait au bougon. Leur rôle était bien défini
et cette routine avait quelque chose de rassurant.
Effectivement, le
journaliste, Maillard, relatait qu’il était plus ou moins tombé sur le blog par
hasard. Son instinct de journaliste l’avait alors poussé à effectuer des
recherches plus approfondies. Il avait alors creusé du côté des décès récents
d’un Loïc, dans la région. La liste était relativement longue. Puis sur une
intuition, il avait cherché des prénoms comme Gwen en proches parents. C’était
un cul de sac, le répertoire était trop fourni. Autant chercher une aiguille
dans une botte de foin. Un soir d’insomnie, il avait élargi son champ de
recherches aux noms de famille comme Leblanc ou bien Leguen, et là, le nombre
s’était alors réduit. Un dénommé Erwan Le Guen avait la douleur d’annoncer le
décès de son oncle. Coïncidence ? Son petit doigt lui répondait que
non ; il devait être sur la bonne piste. Il voulait alors en savoir un peu
plus.
C’est à ce moment-là
que l’histoire prenait une tournure inattendue. Des internautes à la suite du billet du Dragon Blanc
avaient posté leurs réactions. La plupart n’étaient pas vraiment dignes
d’intérêt. Certains parlaient de leurs propres découvertes après le décès de
proches, d’autres louaient la démarche et glorifiaient l’idée de transmission.
Quelques-uns encore reprochaient le manque de dignité de l’auteur, pour eux,
cela ne devait pas être partagé et rester dans l’intimité familiale. Ils ne
faisaient pas vraiment dans la dentelle ; Internet incitait bien souvent
aux excès, encouragés par un certain anonymat. Dragon Blanc n’avait pas pris la
peine de répondre aux uns et aux autres. Il avait seulement aimé un commentaire
d’une certaine Shéhérazade selon son pseudo. Elle – ou peut-être il, d’ailleurs
– avait écrit un poème mêlant Mille et Une Nuits et l’histoire des
perles. C’était assez bien tourné malgré certaines facilités.
Des baumes d'encens
Des pays du Levant
Aux embruns blancs
Venant de l'Océan
Les hommes implorant
Les Cieux innocents
Se cachent
s'inventant
Le voile des Aimants
Êtres faits de chair
et sang
Cessez de faire
semblant
D’admirer un plus
Grand
Quand vous ne jouez
que le Temps
En tout cas, elle récidiva quelques jours plus tard,
sur le même thème. Cette fois, c’était beaucoup plus inspiré. Tout le charme de
l’Orient dans une prose ciselée. L’attention attirée, Dragon laissa une
réponse. Laconique comme un breton taiseux mais qui fit mouche. Une méfiante
parade amoureuse 2.0. Deux esprits vifs qui s’asticotaient l’air de rien.
L’échange continuait sur quelques messages puis C. Maillard en déduisit qu’ils
devaient être passé en mode privé. Sa curiosité piquée, le journaliste avouait
publiquement avoir piraté le blog et avoir ainsi accès aux fameux messages.
Intimité oblige, il les résumait brièvement sans entrer dans les détails. Il
entretenait alors le suspense et l’appétit du lecteur. Colin Maillard était un
malin. Où l’article allait-il bien mener ?
Feignant
l’innocence, la princesse des Mille et Une Nuits cherchait à en savoir plus sur
l’endroit où les perles avaient été trouvées. Dragon noyait le poisson et
déviait la conversation vers la littérature. Elle avait l’intelligence alors
d’y répondre de manière spirituelle. Au fur et à mesure de la correspondance,
Dragon lâchait du lest et Shéhérazade ressemblait à l’un de ces serpents qui
étourdissent en ondulant. La demoiselle était cultivée et le jeune homme se
laissait enivrer par leur conversation. Il ne s’en cachait même plus. Bien que
d’âme romantique, Maillard avait une vague intuition que quelque chose sonnait
faux, mais il n’arrivait pas à mettre le doigt sur cette dissonance. Sous
couvert d’humour, la sultane orientale demandait même à présent où se
trouvaient les perles. Le journaliste tiqua aussitôt. Elle n’était plus
discrète, la friponne. Elle devait manifestement penser qu’il était
complètement ferré, le Dragon. Le pressentiment était ainsi justifié,
Shéhérazade était une brouteuse, voire même peut-être un brouteur. Erwan
allait-il se faire avoir ? Maillard avait la sensation qu’il devait faire
quelque chose, mais quoi ? Après tout, sa lecture n’était pas des plus
légales alors quelle marge d’action avait-il réellement ?
Peu à peu, Dragon concédait des indices, sans même s’en
apercevoir. Le journaliste tergiversait encore. Et si c’était déjà trop
tard ? Les faux tourtereaux se parlaient-ils déjà via d’autres canaux et
dans ce cas échappaient-ils à sa surveillance ?
Le rythme des échanges avait certes ralenti. Cela
confirmait-il ses craintes ? Voulant en avoir le cœur net, Maillard alla
fouiller du côté de l’ordinateur d’Erwan. Ce n’était pas le meilleur des
pirates, mais il se débrouillait assez pour avoir cette témérité. Il savait
comment normalement couvrir ses traces. En outre, un VPN l’y aidait. C’est
alors qu’il vit quelque chose qui l’intrigua. Il lui sembla qu’il n’était pas
le seul à espionner la bécane.
Était-ce Shéhérazade ? Il écarta rapidement cette
possibilité : elle ne poserait pas toutes ces questions si elle avait déjà
un accès, au moins l’espérait-il.
Alors qui ? Il voulut creuser encore un peu mais
il se fit aussitôt chasser. Il n’en menait alors pas large et chercha surtout à
se cacher – et surtout protéger sa véritable identité. Il jouait gros sur ce
coup et beaucoup plus que sa carte de presse. Des gouttes de sueur froide en
avaient roulé dans son dos. Désagréable.
Il se fit tout petit pendant deux jours. Il avait le
sentiment confus d’avoir dérangé une opération plus ou moins officielle, vu les
moyens déployés. Il n’avait vu que le bout de l’iceberg, il en était presque
convaincu.
Se faisait-il des films ? Devenait-il
parano ?
Il essayait de se rassurer comme il pouvait, sans
réellement y parvenir. Il s’était promis d’arrêter ce jeu dangereux. Il était
devenu trop vieux pour ces bêtises, son palpitant n’était plus assez solide
pour tout ce stress. Même s’il reconnaissait que toute cette adrénaline et ce
sentiment de puissance allaient lui manquer, son engagement était ferme.
Maillard reçut alors dans la foulée une convocation
policière dans le cadre d’une enquête distincte qu’il couvrait pour son
journal. Cela ne lui disait rien qui vaille mais il s’était exhorté au calme et
rendu au rendez-vous imposé. Il devait absolument se composer une tête de celui
qui n’avait rien à se reprocher. Et puis, les deux affaires n’étaient pas
liées, il ne devait y avoir rien à craindre, non ?
Malgré ses tentatives, il n’arrivait pas à s’apaiser.
C’était un Maillard fébrile qui s’était présenté. La suite de l’article passait
sous silence le pourquoi du comment de la méthode employée mais révélait tout
de même l’essentiel. Il semblerait que le journaliste eût alors passé une sorte
de marché avec les autorités. Comme il le pressentait, la police française
espionnait l’ordinateur du Dragon. L’unité de lutte contre la cybercriminalité,
la SDLC, avait Shéhérazade dans le viseur depuis quelque temps. D’ailleurs, ce
n’était pas une princesse orientale mais une simple voleuse turque qui se faisait appeler Dalila. Maillard
avait alors appris qu’elle roulait pour Shariar, un bijoutier véreux qui s’intéressait
aux perles. Et si les renseignements avaient réussi à intercepter le
journaliste, ils avaient également informé le principal protagoniste du pot aux
roses. Les perles, si tant est qu’elles existent, étaient en sécurité. Car
heureusement, PHAROS veillait.
On comprenait alors que l’article était en quelque
sorte commandé par les autorités car il servait leur cause, il prouvait
l’efficacité de nos services. Comme quoi, la surveillance façon Big Brother
pouvait parfois aussi avoir du bon.
Il semblerait ainsi que l’affaire fût légèrement plus
complexe finalement qu’imaginée. Au terme de cette enquête une question
persiste. Cette histoire est-elle vraie ? Je laisserai alors le soin au lecteur
clairvoyant de séparer la fable instructive de la réalité…
Sarah pestait tout haut contre cette absence de fin mot de l’histoire, quand elle entendit ronfler. Son grand-père s’était assoupi.
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