La bouée.

Nager jusqu'à la bouée. Facile ! Tout le monde sait le faire. On est programmé pour.
Tu t'élances, en confiance. Tu prends même de l'élan, sur le sable brûlé par le soleil à longueur d'années. 
Mais imagine qu'au milieu du trajet, quelqu'un t'attrape la cheville pour te ramener vers la plage. Tu bois la tasse. Tu n'as plus pied et la bouée est encore loin. Tu te débats et te débarrasses de l'intrus. Tu as perdu quelques mètres, mais ce n'est pas grave : haut les cœurs ! Tu repars à l'assaut des vagues. Quand ce fichu empêcheur de tourner en rond revient. Ah non ! Ça ne va pas se passer comme ça, le comique de répétitions, ce n'est pas ton truc. Tu essaies de ruser, de lui échapper. Mais il gagne. Tu ne peux pas le laisser faire. Alors certes, tu as perdu encore quelques mètres, mais la bouée semble te faire un clin d'œil. C'est un signe ? Tu ne peux pas abandonner le combat maintenant. Tu vas te prouver que tu es plus robuste que cela. Et tu rayonneras de fierté ? Peut-être même pas, ou bien fugacement : éternelle insatisfaction chronique qui t'empêche de te réjouir vraiment.
Au bout de cinq fois de ce même scénar, voire plus, tu commences vraiment à te lasser. L'eau devient froide et fripe ta peau. Tu te fatigues. L'impression de nager à contre-courant. De lutter contre une baïne qui veut à tout prix te ramener sur la plage. Parfois la bouée semble se rapprocher, parfois c'est la rive. Des forces supérieures te ballotent. Tu dois te rendre à l'évidence, tu n'es pas de taille. Pourtant tu semblais l'effleurer du doigt, cette foutue bouée. Mais elle s'est toujours dérobée. Toi, tu n'as pas le droit d'y toucher. Interdit. Streng verboten. Circulez, y'a rien à voir. D'ailleurs, sur la plage, le drapeau rouge vient d'être hissé. La mer devient dangereuse. Le maître nageur, sur sa chaise haute, qui t'épiait avec ses jumelles, t'exhorte. Dépêche-toi. À bout de force, tu laisses l'eau gagner et rejoins le banc de sable. Tu veux dormir ou pleurer de frustration. La bouée luisant au soleil te nargue encore. Mais déjà il est l'heure de rentrer, pas le temps de paresser. Vite, on se presse. Pourquoi ? On ne sait pas mais des regards réprobateurs t'empêchent de vouloir prendre ton temps. Tu n'as plus l'énergie pour te battre alors tu suis le rythme, petit automate.
La suite est simple. Tu jures tes grands dieux que tu arrêtes cette quête vaine et pourtant tous les ans, là-bas, à la même époque, on peut y apercevoir ta frêle silhouette luttant encore contre l'onde ...


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