Songe d'une nuit sans lune

Tous les deux. Nus. Debout. Nous nous faisions face. Dans la semi-pénombre. À la lueur des bougies qu’il avait allumées.

Compulsifs, on s’attirait et on s’écartait. Sans fin. Il m’enduisait d’huile suivant le tempo de nos ébats. Je lui rendais ensuite un peu de ce liquide graisseux en me frottant à lui. Il aimait le reflet de la lumière sur mon corps. On se cherchait des yeux sans y arriver. On discernait à peine nos pupilles qui brillaient à la faveur de notre nuit. Nos âmes sans fard ; on n’avait pas besoin de plus. Notre corps à corps impulsif était d’une lenteur épouvantable. Certains de nos gestes étaient pourtant empressés. L’autre alors se chargeait de rappeler les règles du jeu. Notre jeu. Nous étions bruts. Nos os s’entrechoqueaient parfois. Nous n’étions pas brutaux. Comme des pantins, il semblait que nos ficelles tenues courtes encourageaient notre tempérance. Feinte. Je cherchais à le mordre et il me le rendait bien. On s’accrochait en nous griffant. Je poussais par moments des petits cris. Plus souvent sous le coup de la surprise que de la douleur. J’avais alors aussi bien envie de me venger que de m’abandonner dans ses bras. À tous les tourments qu’il voudrait bien m’infliger.

Sa main autour de mon cou paraissait pouvoir le briser sans peine. Je devenais par moments une petite chose fragile, consciente de l’être. Un oisillon tombé du nid, se débattant pour survivre. Il traçait les contours de ma silhouette comme pour ne plus l’oublier. Il me redessinait comme si je n’étais qu’une esquisse imparfaite avant d’être sculptée. Je ne pouvais pas ignorer la force de ses pouces quand ils glissaient sur mes côtes. Une main dans mes cheveux, il tira d’un coup sec. J’en voulais plus. Je grognais. Animale. Je gémissais. Suppliante. Mais je respectais son rythme. Mon corps se tordait malgré moi. Des larmes perleraient bientôt aux coins de mes yeux. Il ne les verraient pas. L’huile se mélangeait à notre odeur. La pièce était chargée d’une électricité contenue à l’extrême. L’orage pourrait poindre à tout moment. Mais il n’en était pas question cette nuit-là. Peut-être seulement une pluie salvatrice d'une douceur infinie…

Il me retourna dos contre lui. Mes fesses contre ses hanches. Ses bras autour de mes épaules. Je n’avais pas d’autre choix que d’y rester prisonnière. La contrainte me rendit folle et je me pressai contre lui, essayant de lui faire comprendre l’urgence de mon état. Je n’arrivais plus à parler. Des onomatopées sans queue ni tête se bousculaient au passage de mes lèvres. Mon cerveau me hurlait des insanités que je n’osais répéter. Il riait doucement, presque silencieusement. Il était satisfait. Même dans nos jeux à égalité, je lui laissais l’ascendant. Comme par habitude. Et nécessité…

Pour m’achever, il me chuchota dans l’oreille :

“J’ai envie de t’enculer…”

Je tressaillis contre lui. Il sourit ravi de son effet. Je ne le voyais pas mais je pouvais le jurer.

“Moi aussi…”

J’avais retrouvé l’usage de la parole semblait-il. Une toute petite voix malicieuse continua.

“J’ai envie de t’enculer…”

Il me retourna aussi sec. Et me gifla. Je l’avais cherché. Et trouvé. C’était peut-être la première fois que je testais ce calibre là. J’étais encore sous le choc.

Mon eau dévalait la pente de l’intérieur de ma cuisse gauche. Elle s’arrêta, naturellement stoppée par le pli du genou. Aussitôt rejointe par une autre goutte qui emprunta le même chemin. Comment pouvais-je aimer à ce point être brutalisée ? Par lui…

Hébétée et pourtant complètement électrifiée. Tirant ma tignasse, il me mit à genoux devant lui.

“Tiens pour t’occuper. Au lieu de dire des bêtises…”

Avant toute chose, je ne résistai pas à le chercher des yeux malgré l’obscurité…


Nuit étoilée sur le Rhône
Vincent Van Gogh, 1888.

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