Patiente

En parfait cuisinier, tu m'avais dit qu'il était temps que ta préparation repose. J'étais saucissonnée, bâillonnée, aveuglée par un bandeau opaque et tu m'avais mis une goutte d'huile essentielle sous le nez. Je ne pouvais plus bouger de mon propre chef et n'avais pour seul repère mon ouïe qui au lieu de s'affiner pour contrebalancer tous mes sens défaillants devenait à son tour peu fiable - effet du stress ou de l'excitation ?
Je n'avais plus aucune notion du temps et de l'espace. Je cherchais désespérément ton parfum marin mais tu m'avais privée de ce plaisir. Combien de minutes avais-tu prises pour faire de moi ta rope Bunny ? Une heure ? Tu m'avais changée de positions plusieurs fois et traînée çà et là dans ta pièce. Étais-je encore au milieu ?
Pour rompre avec l'ambiguïté, tu m'avais glissé dans le creux de l'oreille :
"Je reviens, sois sage."
Sur le moment, je n'avais que vaguement compris. Et puis j'avais entendu tes pas dans l'escalier. Tu me laissais vraiment là. Toute seule. Je n'avais pas paniqué curieusement. Les cordes appuyant sur des points stratégiques, je flottais entre douleur et au-delà. Entêtante, l'huile essentielle forçait ma bulle. Je ne m'étais pas fatiguée à geindre derrière le bâillon, ni à m'escrimer contre tes nœuds. Ils étaient solides, je le savais d'expérience. Si un jour, tu en faisais un plus lâche pour me tester, je pense que je n'en aurais pas profité pour autant. La peur d'accentuer la pression des liens sur les méridiens et les nerfs était de toute façon plus forte.
Perdue dans mes pensées vaporeuses, je m'étais plongée dans un état second, loin de toi et de chez toi. Tu m'avais sortie de ma torpeur, ta main chaude sur mon torse nu et glacé. Magie du plexus solaire, ça m'avait fait revenir petit à petit. Et puis sursauter quand mon mental avait enfin compris ta présence. On en avait rigolé doucement. Enfin surtout toi, évidemment. Ton rôti à point. Tu m'avais détachée patiemment. J'étais d'une docilité à faire pâlir une poupée de porcelaine. Puisque moi, j'acceptais de t'aider dans ta tâche : soulevant ici un bras, là une jambe, roulant sur moi-même. Miracle : mon corps ankylosé t'obéissait mécaniquement m'arrachant des grimaces d'inconfort.
Tout doucement, tu me remis debout. Je vacillais un peu, tes bras étaient prêts à m'accueillir au besoin. Mais mes cannes tinrent bon, bien que tremblotantes. Tu m'avais laissée dans le noir, mon oreille interne perturbée ; je devinais seulement la chaleur de ton corps derrière moi. J'émettais de temps à autres de petits sons derrière mon bâillon qui te faisaient sourire silencieusement.
Tu m'attachas les bras à la poutre du plafond et contraignis mes jambes à l'écart. Un rôti à la broche à peu de choses près. Tu avais mâté mon début de rébellion un peu plus tôt dans la journée : la canne marquait encore sa domination sur mes fesses. J'étais sage. Un peu tendue par l'inconnu mais définitivement sage.
Tu laissais courir tes doigts sur mon corps me faisant frissonner malgré moi. Mon cerveau faisait défiler des images sans queue ni tête. De violence. De douceur. De violentes douceurs. De douceur violente. Rien n'arrivait à se fixer véritablement. Me donnant le tournis. J'avais envie que tu me fouettes pour me rendre un peu à ma réalité corporelle. Si seulement, tu m'entendais. Je gigotais vainement. Essayant la télépathie : s'il te plaît, exauce-moi.
Tu claquas ta langue au palet mi-agacé, mi-amusé. Je bougeais trop. Mais je n'arrivais pas à me calmer. À présent, tes caresses m'avaient donné une furieuse envie de cuir et si je pouvais accepter la frustration de ne pas être fouettée, cette nouvelle lubie était difficilement refoulable. Je voulais que de tes gants de cuir, tu remodèles mon corps imparfait au gré de tes envies. Mais tes mains restaient désespérément nues. Et mon cœur martelait son désespoir, mes côtes en cage de résonance. Mes gémissements plaintifs eurent gain de cause : tu ôtas mon bâillon. Ma salive barbouillant mes lèvres, un filet de bave coulant dans mon cou, je toussais pour reprendre mon souffle.
"Tes gants... Cuir."
Je ne pouvais plus te dire que cela. Je les voulais comme Gollum. Je ne les voyais pas, pourtant mes yeux luisaient de cette même démence. Tu m'aurais détachée subitement, je t'aurais mordu jusqu'à obtenir mon précieux.
Mon empressement non dissimulable te fit rire. Enragée, je tirai alors sur mes liens. Tu me stoppas net, d'une gifle bien appuyée. Estomaquée, immobile, je me mis à sangloter. La pression redescendit un peu. Je me rendais compte que ma mouille coulait le long de ma jambe gauche.
"Joli."
Tu commentas. Je rougis sous mon bandeau. Pour une fois contente de l'avoir.
"Petite esclave, non tu ne décideras pas."
Je me renfrognais honteuse de ne pas savoir mieux me contrôler, outrepassant ma condition.
"Toutefois, tu m'as donné une idée. C'est l'heure de ton inspection."
Écarquillant alors les yeux derrière le tissu, par réflexe, je voulus m'y soustraire. Mais les liens me retinrent solidement.
"Alors, patiente docile ?"
Une question, un défi, un ordre en psychologie inversée ? Je ne savais plus que penser. Dans le doute, je m'abstins.
C'est alors que je t'entendis glisser ta main dans un gant médical en latex. Ça m'avait rendue folle... De peur, de désir... Tu l'avais fait claquer contre ton poignet pour me faire sursauter, m'inquiéter...
Si tu m'avais rendu la lumière, dans mes yeux, tu aurais vu cet éclat d'excitation liquide...



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