Ennui(s)


"Je m'ennuie."

Elle était venue me déranger en plein travail pour ça. Elle n'avait plus cinq ans quand même. Elle voulait que je lui apporte un coloriage aussi ?

"Je m'ennuie."

Je n'avais pas réfléchi. Comme quand j'étais petite, j'avais ressenti un besoin flou d'attention sans savoir le demander. Ça criait silencieusement dans ma tête. Mon corps était trop petit pour tout ce bouillonnement. Alors je trépignais sans savoir pourquoi, je râlais. J'avais envie de taper du pied pour me raccrocher un peu à une matérialité qui m'empêcherait de céder à cette saute d'humeur. Je me serais écoutée, je serais allée taper sur des casseroles avec la cuillère en bois. À moins de m'amuser avec deux couvercles : des cymbales baroques. Faire du bruit. Exister encore un peu. Avant d'être engloutie par cette méchante vague qui allait me valoir des ennuis. J'ai chaud. J'ai froid. Envie de déverser mille mots. Une parole pourrait m'arracher la bouche. Je suis KO, essoufflée. Je pourrais faire trois tours de stade. Envie de pleurer. De rire. Rien pour me raccorder à rien. Aucune certitude, la vague avait gagné. Alors je suis allée dans son bureau. "Surtout ne me dérange pas pour rien." Mais ce n'était pas rien, un désordre intérieur. J'ai besoin que tu le guérisses. Je m'en carre de tes copies, j'ai besoin de toi, ici et maintenant. Pas le ici et maintenant de demain. Tes étudiants attendraient.
Je lui hurlais mon désarroi, silencieusement. Il faisait mine d'être sourd.
Alors je lui ai dit : "je m'ennuie".
Regard peu amène en guise de réponse. Puis plongée dans ses papiers. Ça m'a mise dans une rage folle. J'avais envie de déchirer tout ce qui le séparait de moi. Froisser les interros. Même mieux : les gribouiller avec un gros feutre. Puérile. J'en étais consciente, je n'avais plus cinq ans. Alors je me suis mise à quatre pattes. Pour me glisser entre ses jambes sous le bureau. Je miaulais plaintivement comme un greffier affamé depuis dix jours. Je ronronnais essayant de l'attendrir. Parfois il me disait de me taire. Je me renfrognai un temps et puis reprenais mon cirque. Il continuait à préférer son travail - celui qui payait nos factures - à moi. Je changeai de stratégie. Je mordillais ses mollets nus. Les griffant un peu au passage.
Gain de cause. Enfin.

"Maintenant, ça suffit !"

Je n'avais aucune envie de la punir aujourd'hui. C'était tout l'inverse. J'espérais une soirée calme et douce. Elle venait de tout faire capoter. Rien que pour ça, elle me donnait subitement des pensées violentes. Un peu plus durement que je n'aurais dû, je la saisis par les cheveux. Elle couina. Le petit chat est mort. C'était à nouveau une femme à qui je m'adressais.



Commentaires

  1. MademoiselleG07 novembre, 2022

    Intéressant comme les envies peuvent être titillées, créés, réveillées en « frottant « un peu ou beaucoup pour mieux se révéler à nous intenses , subîtes et bestiales…

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    1. Parfois, il ne faut pas grand chose pour mettre le feu aux poudres 💣

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