Laisse béton.


Un pas. Puis l'autre. Les gens pressés passent autour de moi. Inconscients du drame qui se joue devant eux. Un escalier, juste devant moi. Une gare. Flambant neuve. Claire, tout en transparence. Des vitres partout. Même aux fenêtres. Une luminosité faussement naturelle m'agresse les rétines. Des couloirs de métro qu'on devine au loin. Avec encore des escaliers, des escalators, des ascenseurs, des cages de verre. Des passages et des passerelles de cordes, comme dans les montagnes nippones, ou presque. Et puis, moi. Pas foutue de faire un pas de plus. Ma colère : des infrastructures nouvelles encore moins adaptées. J'avais mis dix ans à apprivoiser l'ancienne gare. Ils fichent tout en l'air pour... rien. Un caprice esthétique ? Pas plus ! Elle est moche en prime.
Le hall bondé me donne le tournis. Trois pas en arrière. Me coller contre un mur. Sentir la matière. Vital. Ne pas remarquer que la paroi sans aspérité ne donne aucune prise. Son froid me calme, un peu. Je suis en nage, ma chemise est trempée de cette sueur acide de ma peur. Un chien saurait. Ici, personne ne voit. Je vais garder ce relent de frousse jusqu'à ma prochaine douche, le parfum ne fera que masquer, un peu. Je ne prends même plus la précaution de feindre la normalité, tout le monde m'ignore et je n'ai plus la force. La pièce tangue un peu, j'aurais sans doute dû mieux manger. La lanière de mon sac rentre dans ma peau. Le bourrelet de mon t-shirt n'amortit rien, au contraire. L'épaule en feu, j'aurai des marques ce soir. Épiderme de vélin froissé. Ma journée peut se lire sur ma peau à l'heure du coucher. J'expulse l'air de mes poumons bruyamment. Le trop-plein était en train de me noyer. La minute de pointe s'est calmée, il faut que j'en profite ou autrement je raterais peut-être ma correspondance. Réprimer cette envie de s'allonger pour se fondre dans la terre ferme ; ce soir je me coucherai, pas avant. Prendre son courage à deux mains. Un pas, puis l'autre. Étirer sa main. Choper la rambarde. Un pas, puis l'autre. Arriver aux premières marches. Descendre. Descendre. Descendre. Effleurer la rambarde, ne pas se cramponner, tu resterais bloquée dans ce maudit escalier. Cauchemar. Suivre le rythme. Le tien. La cohue n'a pas repris. Profite, sinon elle t'engloutira. Marche. Marche. Encore une dernière marche. Marcher, s'éloigner de ce satané truc qui te donne envie de sauter. Mais pour quel résultat ? Se péter une jambe ? Devenir paraplégique ? Se fouler ridiculeusement une articulation ? Finir en hôpital psychiatrique ? Gavée de petites pilules arc-en-ciel ?
Non merci. Si tu veux sauter, fais ça bien au moins. Un immeuble bien haut, la ville à tes pieds. La circulation loin, plus loin, tu ne veux pas vraiment être responsable d'un carambolage. Déjà que tu vas traumatiser deux, trois personnes dans ta chute. Ne sois pas égoïste à ce point. Une montagne alors, un belvédère. Et si une arrête freine ta descente ? Tu agoniserais pendant des heures, des jours. Et puis ils sont capables d'arriver à te sauver, si ça se trouve. Trouve un ascenseur pour le prochain escalier. Au moins, tu ne seras pas tentée.





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