Ainsi soit-elle !

(Tétralogie Nos chemins de Damas - "Ainsi soit-elle !" : suite de "Les Voies du Seigneur sont impénétrables" et de "Que notre joie demeure" ?)



"Adélaïde !"

Quand il grondait mon nom en entier, ça ne sentait pas bon.

"Je suis à côté. Pas besoin de hurler.

- Je ne hurle pas, mais si tu tiens à voir la différence, je peux !"

Qu'est-ce qui lui prenait ? Jean-Seb était plutôt calme d'habitude. J'avais envie d'attendre que l'orage passe pour une fois, au lieu de danser sous la pluie. Mais il ne voulait pas me faciliter les choses. Ma curiosité fut la plus forte.

"Que se passe-t-il ?

- Tu comptais me dire quand que tu redoublais ?

- Comment tu l'as appris ?

- Pas par toi, ça c'est sûr..."

Le sentiment d'avoir été surveillée comme une gosse me révoltait. 

"Ça ne te regarde pas. N'en fais pas un sujet important s'il te plaît."

On aurait dit qu'il se retenait de me mettre une gifle. Certes lors de nos jeux amoureux, il était un peu rude, mais il ne s'y était jamais aventuré. Il y aurait été sûrement bien reçu...

"Pas important ? Tu te moques de qui ? J'ai croisé ton chargé de TD, il m'a dit que c'était du gâchis... 

- C'est ton ami, tu es bien placé pour savoir qu'il exagère toujours...

- Tu n'as même pas demandé à passer AJAC, à quoi tu joues ?

- J'ai validé mon droit constit. T'inquiète pas ton honneur de prof particulier est sauf. Le reste, c'est mes affaires."

Je croyais le sujet clos. Il bouillonnait de l'intérieur, je cherchais à esquiver sa vapeur.
Soudainement, il me prit par l'oreille.

"Prends le sur un autre ton, s'il te plaît.

- Sinon quoi ? ... Monsieur le professeur ?"

Je n'avais pas résisté. C'était idiot. J'avais envie de le mettre en rogne, autant que son interrogatoire m'agaçait.
Dans ma tête, ça passait en boucle. Je lui interdisait de me punir. Pas pour ça. Je me promettais qu'il s'en mordrait les doigts, s'il osait.
Et à la fois, je faisais tout pour le provoquer. Et je savais que pour cela, je méritais sans doute une leçon. J'avais l'impression de nous revoir. À nos débuts.
Je croyais qu'on avait grandi pourtant.
Me tenant par les cheveux à présent, il prit une chaise et me tira sur ses genoux. Je me débattais, l'agonissant d'anathèmes. J'étais une furie qu'il arrivait à maîtriser, pour une fois. J'étais étonnée, d'habitude il me laissait me calmer avant de me punir, pour que la leçon rentre mieux. Là, il usait d'une force qu'il m'avait cachée. Comme s'il avait besoin de me punir. Pour lui. S'apaiser. Me pardonner. Remettre le karma en ordre. Je ressentais la même urgence même si je m'en défendais. Il fallait aller jusqu'au bout. Au bout, qu'est-ce qu'il y aurait ? L'apaisement, vraiment ? Je voulais y croire. Je ne sais trop comment, je savais qu'au lieu de briser notre lien, cette correction allait le renforcer, pourtant j'aurais tout donné pour être ailleurs. Je campais sur mes positions, il faisait de l'abus de pouvoir. J'étais encore maître de ma vie même si ma façon de voir lui déplaisait.
Il m'avait ceinturée fermement, bloquant mes jambes avec les siennes et mes bras dans mon dos. À peine si je pouvais encore onduler comme une anguille pataude.

"Sinon tu vas te retrouver en fâcheuse position..."

Il me parlait à présent plus calmement, me chuchotant presque ses menaces à l'oreille.
Je continuais à essayer encore de m'échapper, il me mit une claque sur la cuisse pour me faire cesser mon manège.

"Bien, maintenant que tu es plus disposée, explique-moi. Pourquoi redoubler ?

- Disposée à rien du tout ! Va te faire foutre, j'ai aucun compte à te rendre."

Je criai. Les gens devaient m'entendre jusqu'en bas de la rue. Je m'en foutais royalement. Il gardait son calme à présent que je ne pouvais plus que lui casser les oreilles en hurlant comme un animal blessé (par tant d'injustices). Et cela me mettait véritablement en boule, encore plus que la situation en elle-même.

"Mauvaise réponse, Mademoiselle."

Il me fessait avec vigueur mais je sentais qu'il gardait une grande marge de progression, ça promettait d'être long. Et compliqué.

"Deuxième chance.

- Lâche ! Tu verras quand je serais debout, je te...

- Tut tut tut. Mauvaise réponse."

Il baissa mon pantalon tant bien que mal, j'en profitai pour, à défaut de m'échapper, trouver une position plus agréable.
Il me dit que mes fesses avaient déjà commencé à s'empourprer, ça n'allait que s'empirer. Je ferais bien d'être plus raisonnable. Il claquait mon postérieur avec la même régularité que précédemment. J'étais tellement furieuse que je ne sentais même plus que ça commençait à chauffer. Ma colère me portait, tant mieux ! Ça faisait une paye que je ne l'avais pas traité de lâche. Ça remontait à notre première fois d'ailleurs. Et ça me soulageait. J'en avais parfois par dessus la tête de son petit air de jeune premier, bien comme il fallait et de ses manières de petit garçon face à papa-maman. À côté, moi je faisais tache, j'avais presque l'air d'une hippie. Pourtant je n'avais ni sarouel, ni dreadlocks. Ses parents trouvaient que j'étais une gentille anarchiste, comme une curiosité. Je t'en foutrais moi. J'avais l'impression qu'ils espéraient que je ne sois qu'une passade, sa crise d'adolescence à retardement. Une crise polissée donc acceptable. Ils n'avaient rien contre moi, à part que je tournais autour du fiston. Sauf qu'ils ne savaient pas que c'était exactement l'inverse qui s'était produit, même évidemment si maintenant j'étais totalement sous le charme. Je me disais souvent pour me rassurer que nous deux, ça ne durerait pas éternellement. Rien ne durait de toute façon. On ne serait pas l'exception. Alors forte de ces pensées, je me collais un peu plus à lui, sous ma couette dans ma chambre de bonne, acceptant de bonne grâce, ses câlins.
Voyant que j'étais partie loin de lui, il s'échinait à me faire revenir, augmentant l'intensité de ses claques. Il avait dû me parler sans que je m'en aperçoive.

"Ton silence est éloquent."

Et il m'enleva ma culotte. Comme un électrochoc, je me mis à ruer de plus belle. C'était trop bête de se fâcher pour si peu, j'avais plutôt envie d'un temps calme avec lui et de rêver à nos prochaines vacances.
Croyant que je voulais me soustraire à sa poigne, il devenait d'autant plus redoutable. Il allait avoir mal à la main, à force. Moi, je m'étais anesthésiée par mes pensées. Et lui ? Enfermé dans sa colère ? Son bon droit ?
Soudain, un coup sec sur la cuisse me fit hurler, il m'avait complètement ramenée au moment présent et mon derrière irradiait. Satisfait, je sentais son sourire. Un de ceux qui me donne envie de le mordre. Je tentai d'ailleurs de planter mes dents dans son mollet mais il m'en empêcha in extremis, me connaissant dorénavant un peu trop bien.

"Non, tu ne t'en tireras pas ainsi. J'attends tes explications. Je te préviens, tu vas te lasser avant moi... Tu m'as appris à être endurant, depuis le temps !"

J'aurais juré qu'il en était comme attendri. Était-ce une ouverture ? Il avait cessé de martyriser mon séant et effectivement, il attendait. Prenant conscience de la chaleur de mon épiderme, je savais que je n'allais pas tenir longtemps avant de lui demander grâce. Ma colère s'était un peu évaporée et je retrouvais un peu mes facultés de raisonnement. Il me faudrait beaucoup de persuasion pour le rallier à ma cause. Sans doute aurais-je dû lui en parler avant. 

"Le droit, c'est pas ma voie."

Je lui balançai ça à tout trac, envolées les jolies formules que j'essayais d'écrire dans ma tête. Droit au but, simple et efficace.
Il me laissait continuer.

"C'est peut-être la tienne, si tu veux. Mais moi, je n'ai pas envie d'obéir à quelque chose que l'on prévoit pour moi."

Il savait ce que je pensais des injonctions familiales, ce n'était pas une surprise. J'essayai de me redresser un peu, pour qu'on puisse parler d'égal à égal, mais d'une main sur mon dos, il me rallongea. Je fis une deuxième tentative qu'il noya encore dans l'œuf.

"Laisse-moi me rhabiller quand même.", osai-je d'une toute petite voix.

Il me caressa gentiment le cul pour seule réponse.

"Tu vas pas me dire que je suis punie pour ça, quand même ?

- Tu l'es pour avoir fait ça dans ton coin. Tu ne me fais donc pas confiance ?"

Je l'avais blessé et fait passer pour un idiot auprès de son ami. Mis sous le fait accompli, il tombait des nues. Je n'avais pas vu les choses sous cet angle.

" Ce n'est pas ça... Mais bon, tu n'aurais pas été d'accord. Tu aurais pris sûrement ça pour un caprice d'une fainéante."

Il savait que j'avais raison, il ne tentait même pas de nier.

"J'avais pas envie qu'on s'écharpe, là-dessus... C'est ma vie."

Il accusa le coup.

"... Et je n'en fais pas partie..."

Je ne savais plus si c'était une question ou une affirmation. J'avais été égoïste pour éviter un conflit inconfortable. Il ne le comprenait pas. Pour lui, j'étais celle qui mettait les pieds dans le plat, si je n'agissais plus ainsi, je mettais notre fragile équilibre en péril. Je me redressai d'un bond, le prenant dans mes bras, toujours sur ses genoux.

"Bien sûr que si. Mais, peut-être pas éternellement. Je veux faire mes propres erreurs, mon propre chemin... Ce n'est pas toi qui sera coincé dans un bureau à ma place, je ne veux pas t'en vouloir pour m'avoir fortement encouragée dans une voie qui n'est pas la mienne... Tu comprends ?"

Il ne me repoussait pas, j'en étais soulagée. Mais j'étais encore inquiète, il prenait son temps pour me répondre et il ne me rendait pas mes cajoleries. Je redoublai d'ardeur, essayant de ne pas l'étouffer.

"Je comprends."

L'effet d'une bise glaciale. Les larmes aux yeux, je me tournai vers son visage. J'avais besoin de plus. Il avait clos le débat, je n'avais plus de prise. Je me raccrochais aux branches.

"J'ai besoin d'un peu de temps... Pour comprendre ce que je veux. Manger mes cours et les recracher aux partiels, ça n'a d'intérêt que si on voit à long terme... J'ai pas envie d'être prof, ni juriste. Le droit me plaît mais ça ne me mène nulle part... J'ai besoin d'un temps mort.

- ... Quels sont vos projets alors, Demoiselle ?"

Évidemment, j'aurais dû m'en douter, il ne pouvait qu'aller sur ce terrain, celui qu'il empruntait quand il me faisait bosser mes cours de droit constit : un jeu de rôle prof à élève qui le rassurait. Dans nos yeux nageait le désir qu'il avait réveillé, mais on voulait une conversation sérieuse. On n'y céderait pas. Pas tout de suite, en tout cas. 
Au moins, l'air s'était réchauffé.

"C'est une petite matière, j'ai déjà les cours, je connais le prof... Peut-être que j'aurais même pu valider si...

- Tu avais travaillé ?

- Si j'avais eu la motivation !

- Vraiment du gâchis... Enfin bon passons. Tu es en train de me dire que tu vas buller au lieu d'aller à ton seul cours ?"

Je sentis qu'il ne faudrait pas grand-chose pour qu'il s'énerve à nouveau.

"Tout de suite, les grands mots ! J'ai besoin de savoir ce qui me fait vibrer."

Il m'embrassa dans le cou. Cela ne lui ressemblant guère, surprise, j'acceptai de bonne grâce qu'il me mordille la peau à la naissance de la clavicule.

"Je crois que j'ai une petite idée... Qu'en pensez-vous ?

-Hmm, vous êtes en bonne voie, je crois aussi."

Et puis soudainement, nous sommes redevenus sérieux.

"À part si tu veux que je devienne actrice X, je vais devoir trouver autre chose. Je voudrais quelque chose qui puisse me faire vibrer toute une vie... Et pas un canard !"

Je le choquais et il aimait, je crois en son for intérieur même s'il me jurait ses grands dieux le contraire.

"De toute façon, tu ne peux pas comprendre. Tu as la musique, le dessin et surtout ton amour du bois. Moi, qu'est-ce qui sera marqué sur ma tombe ? Épouse Lecroix, dévouée et mère aimante ? Je veux plus. C'est si mal ?"

Il comprit enfin l'ampleur de ma crise existentielle qui n'était pas qu'un caprice d'enfant gâtée, malgré les apparences. Était-ce vraiment si mal de chercher un véritable sens à l'existence ?




Commentaires

  1. “Il m'avait ceinturée fermement, bloquant mes jambes avec les siennes et mes bras dans mon dos. À peine si je pouvais encore onduler comme une anguille pataude.“

    Une belle image très parlante !

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