Il pleuvait des cordes

Pire que des chiots fous, on ne pouvait pas s'en empêcher.
Je lui avais pourtant donné rendez-vous dans un bistrot, un peu éloigné de là où je créchais pour prévenir toutes ambiguïtés éventuelles. Un café tranquille. Uniquement ça.
Seulement voilà, il avait plu et il était arrivé trempé comme une soupe. J'avais eu pitié, le bar était plein de gens qui voulaient se mettre à l'abri.

"Viens chez moi, ce sera plus calme."

Je ne lui laissai pas le temps de protester, on était déjà dehors à raser les murs pour tenter de s'abriter un peu.
Digicode. Ascenseur. Clef dans la serrure.
Il faisait tout de même plus chaud ici. 

"Reste sur le paillasson, je reviens."

J'allai dans la salle d'eau me changer et étendre mes habits mouillés, je revins en habits d'intérieur qu'on aurait pu aisément prendre pour pyjama tant ils n'avaient aucune tenue. Il m'avait vue dans des fringues bien moins seyantes, ce n'était pas le moment de faire ma coquette. Je chopai une serviette propre et la lui tendis. À présent en chaussettes, il avait déposé son blouson sur le radiateur, mis son sac et ses chaussures en dessous.

"Déshabille-toi, je vais faire tourner le sèche-linge."

J'éprouvai une vague sensation sadique amusée à inverser nos rôles, je ne comptais plus le nombre de fois où il m'avait fait mettre à poil d'un seul ordre impatient, sûr de son autorité. C'était à peine s'il ne s'offusquait pas que je n'eusse pas devancé son ordre, parfois.

"Allez, dépêche-toi ! Ne fais pas ton timide. Tu vas prendre froid. Zou !"

J'en rajoutais juste pour le plaisir de voir son œil noircir. De toute façon, on ne ferait rien. C'était le deal, donc je ne risquais rien, tout au plus une remarque acide. Ça me ferait une belle jambe !
Il obéit en grognant, je ne me privais pas pour profiter du strip-tease. Je pris ses affaires, mis les miennes, et lançai la machine. Avant de revenir, je trouvai un de mes t-shirts XXXL qui me servaient de chemise de nuit, déniché au rayon homme, au moins, il lui irait.
Il fit une moue dubitative mais l'enfila quand même. Ça cachait presque entièrement son caleçon, je masquais mal mon sourire.

"Hé oui, Princesse... Je n'ai pas de chemises de mec amidonnées, ici... Après si tu veux une de mes robes..."

Il grogna en s'installant sur le canapé.

"Très spirituelle dis-donc. C'est la pluie qui te rend drôle comme ça ?"

Évidemment, c'était une phrase que j'aurais pu lui sortir, je ricanais.
Il se séchait encore les cheveux avec ma serviette quand je décidai sans prévenir de l'aider. Mon geste brusque étant mal interprété, je fus victime d'un de ses fameux réflexes forgés par ses années sportives. En clair, je me retrouvai la tête dans l'accoudoir, mon poignet légèrement tenu dans le dos.

"Lâche-moi, t'es idiot ou quoi ? J'allais juste t'aider un peu... Vu comment tu galères... En plus, c'est pas comme si tu n'avais pas le crâne dégarni..."

C'était sans doute pas les mots qu'il attendait puisque loin de me libérer, il s'en offusqua. Je marmonnai de vagues excuses et puis il me laissa enfin. Je massai mon poignet, quelle brute ! Et me renfonçai dans mon siège. La discussion s'amorça enfin gentiment. On se sortait nos banalités habituelles. Et puis, il dit un truc, je le repris. Je savais que j’avais raison alors je continuai.

"Mais quelle emmerdeuse !"

Susceptible, la claque partit, il avait sa joue trop près de ma main. Désolée. J'étais même étonnée d’avoir réussi. Je pensais qu'il avait plus de réflexes. Avant de me prendre le retour, je m'étais carapatée à l’autre bout de la pièce. Lâche et prudente.
En quelques enjambées, il me rejoignit. Acculée contre un mur, je n'avais plus de perspective de fuite. Il me toisait. J'essayais bien de me défendre un peu mais sans trop de difficulté, il m'attrapa... pour me savonner le crâne. Vraiment ?! On avait à nouveau dix ans ou bien ?

"Attends, aïe, att..."

Il me relâcha et je cherchai de la musique pour couvrir le bruit. Pour les voisins.
Je me mis en garde, une jambe en avant, les doigts crochetés devant mon visage. Il se moqua de ma technique peu orthodoxe, en attendant, j'étais moins nulle qu'il ne l'avait envisagé. Pendant nos derniers combats.
Agacée par ses railleries, j'ouvris la bouche dans une illusion de morsure. Il plissa les yeux, perplexe.

"Si je t'attrape, je mords... la bite."

J'avais vraiment dit ça ?! J'allais me démentir mais il fut plus rapide.

"Ose un peu planter tes adorables petites dents. Et tu verras... Encore plus si c'est à cet endroit là."

Mais pourquoi il m'encourageait en terrain glaiseux ; d'habitude, c'était lui le plus raisonnable. Là ça allait devenir n'importe quoi. Et je n'allais rien faire pour éviter ça...
Il esquiva mes premiers coups de pied, puis je changeais de stratégie, le laissant venir à moi. Je parai sa première prise mais la seconde me mit à terre, sans plus de cérémonie. La tête dans mon tapis, je gigotai un peu pour qu'il me donnât une chance de me rattraper. Il me maintint quelques secondes supplémentaires, l'air de dire que je ne ferai jamais le poids, alors autant déclarer forfait directement. Mais c'était mal me connaître. Ou plutôt trop bien. Il ne pouvait pas ignorer que la guerre venait d'être vraiment déclarée. Je n'allais pas abandonner aussi facilement, même si c'était puéril et inutile.
Il me proposa sa main pour m'aider à me relever. Grave erreur mon coco ! Je mordis aussitôt dans la chair fraîche gentiment tendue puis décampai le plus loin possible de ses représailles. Pas folle la guêpe ! Pleutre, peut-être...
Il hurla, mais j'étais sûre qu'il en rajoutait pour me faire culpabiliser et surtout pour justifier son sadisme par la suite. Il n'assumait pas ses pulsions quand je le poussais à bout. Et se récriait comme un gosse pris en faute quand je ronronnais "sale sadique" à son oreille. Dans ma bouche, c'était un compliment, mais il ne captait pas le sous-titre.

"Je viens de dire quoi ?
- Que j'allais voir, non ?"

Pour un peu, j'allais me constituer prisonnière. La sienne. Juste parce que ça m'excitait. Mais je me retins in extremis, je ne devais pas bâcler ma partition. Ce serait moins drôle sinon. Et par ma faute. 
Alors j'allai me planquer derrière une chaise. Il me frôla le bras en cherchant à m'attraper. Je réussis à me faufiler entre ses pattes, essoufflée je trouvai refuge derrière le canapé. Je n'avais pas son entraînement, je me fatiguais plus vite. À ce train-là, dans cinq minutes, c'était plié. Six au max. Alors foutu pour foutu, je contournai mon canap' et me jetai sur lui toutes griffes dehors. Kamikaze assumée, je le bourrai de coups de poing, cherchant encore à mordre un truc à portée de dents. Quitte à être punie, autant en profiter un peu pour aiguiser mes incisives. Je m'arrêtai brutalement. Surprise par le goût du sang. Il se servit de ma pause spontanée pour me tirer par les cheveux.
Il saignait vraiment ? Il n'avait pas crié pourtant. J'étais vraiment confuse. Prise dans mes remords, je ne sentais qu'à peine ma douleur capillaire. Je passai ma langue dans ma bouche et compris soudain que c'était moi qui m'étais coupée. J'en fus aussitôt soulagée. Il interpréta inévitablement de travers le large sourire qui barrait mon visage.

"Et ça te fait rire ? Je vais t'en faire passer l'envie..."

Je n'allais pas le détromper. Effectivement nos jeux de chatons en mal de bagarre me plaisaient toujours autant. On n'aurait pas dû arrêter, au moins, on n'aurait plus à faire semblant d'une exception à chaque fois qu'on remettait le couvert.
Je lui tirai la langue, une perle de sang luisait. Il s'inquiéta. Je le rassurais rapidement, à ma manière.

"Tu n'es pas hématophobe, j'espère ?"

Il secoua la tête, exaspéré. Il renforça sa prise me faisant couiner. Il ne put empêcher un sourire de satisfaction qu'il réprima rapidement devant mon air réjoui.
Il me tenait toujours par les cheveux quand il m'étendit sur ses genoux, je n'avais pas envie d'être fessée ce jour-là mais à croire qu'inconsciemment, je ne cherchais que ça. Il me bloqua entre ses jambes. Ses cuisses entravant les miennes, à présent dénudées. J'attendais la pluie de claques s'abattre. Mais rien ne vint. Il se moquait de moi ?! Qu'est-ce qu'il fabriquait encore ?
Il se pencha vers la table basse du salon, manquant de me faire renverser.

"Hé mais...
- Chut."

Depuis quand arrivait-il à me faire taire ainsi ? Mystère. Toujours est-il que je me tus. Il me déconcertait trop ; le petit vélo dans ma caboche pédalait dans la semoule.
Il chercha un paquet de clopes. Avec mon briquet. L'appartement était non fumeur mais je n'eus pas le courage de le lui dire. Il commença par s'en griller une. Sérieusement ?! J'étais en culotte sur lui, impuissante, et lui pensait à son taux de nicotine ? 
Je ne pipai mot pourtant. Je n'avais pas envie qu'il remarque combien il me vexait. Mes pensées cavalaient. Comment allais-je lui faire payer cet affront ? Qu'est-ce qu'il y avait de prévu à dîner ? Il allait rester ? Je cracherais dans sa soupe alors. 
Ça n'avait aucun sens mais je n'avais aucune prise dessus, alors je laissais faire. Ça faisait mal une brûlure de cigarette ? Sur le cul ? Il voulait me faire tester ? Mais ça ne va pas bien, oui ?! Laisse donc ta fierté de côté et demande-lui ce qu'il veut : "oui, je mérite d'être punie...". Parce qu'il voulait ça, n'est-ce pas ? Mais plutôt crever ! Il se lasserait avant.
Lorsque les cendres furent sur le point de tomber, il avisa le gros coquillage qui me servait de cendrier. J'étais rassurée, et pourtant légèrement déçue ; il me rendait vraiment maso. Et surtout dingue.
Il termina sa cigarette, sans faire sonner l'alarme incendie : un exploit. J'ouvrais toujours les fenêtres par précaution d'habitude.
Quand il refarfouilla dans mes affaires, je crus qu'il allait en prendre une autre. Mais à la place, il s'empara des capotes.

"Tu vois quelqu'un en ce moment ?
- T'occupe."

Mon ton hargneux le fit ricaner.
Il avait de la chance, c'était aussi sa taille. Mais j'avais pas envie de baiser avec lui après qu'il m'eut ignorée ainsi, il pouvait toujours courir.
Il avisa un de mes foulards qui traînait là et s'en saisit.

"Tes poignets."

Je cachai immédiatement mes mains sous moi, espérant que ce soit suffisant.
En soupirant, il tira violemment ma tête en arrière, il pourrait me scalper, ce con. Par réflexe, mes mains essayèrent de s'interposer, il me saisit alors un bras qu'il coinça aussitôt dans mon dos.

"L'autre. Dépêche."

Mais j'étais toujours aussi décidée à ne pas lui faciliter la tâche. Il tordit légèrement mon poignet. Je grimaçai mais résistai.

"Quelle tête de mule.
- Et toi donc..."

Je le sentis sourire. Et malgré moi, je me détendis. Le fourbe en profita pour saisir le bras récalcitrant et sans plus attendre, je me retrouvais ainsi les mains attachées derrière le dos.
Je n'avais plus aucun moyen de me défendre. À part mes dents, mais il ne mettait plus rien à leur portée, il avait retenu la leçon.
Il me saisit à nouveau par les cheveux pour me faire descendre de ses genoux, curieusement en douceur. Je grognai. Il me plaqua contre un mur. Mes épaules le heurtèrent, la cloison trembla. Il n'avait plus envie de prendre de pincettes.
Il me fit me couler à ses pieds, son poids du corps entraînant ma chute. Une bosse déformait déjà son caleçon. Je passai ma langue sur mes lèvres, comme par réflexe. Ça ne lui échappa pas.
Oserais-je vraiment le mordre ?
Ça ne semblait pas lui faire peur, en tout cas. En même temps, le cul par terre et les poignets liés, je ne devais pas être bien terrifiante. D'une claque, il pourrait me mettre KO, s'il le voulait vraiment.
Il sortit son sexe à hauteur de ma bouche. Je secouai la tête : dans tes rêves, mon petit. Mes refus répétés l'excitaient. Je ne savais plus si j'en étais fière ou agacée.
Il enfila le préservatif et me tendit sa bite. Je serrai les lèvres. Il renversa ma tête en arrière, tirant ma tignasse et me pinça le nez de sa main libre. À peine avais-je desserré les dents qu'il y fourra sa queue. Faisant de petits va-et-vient, elle grandissait emplissant ma bouche. Ma langue la caressait malgré elle. Ma glotte se rétractait par moment. Je n'aimais pas le contact du latex mais ça me dissuada plutôt efficacement de percer la capote. Il avait réponse à tout décidément quand l'enjeu lui plaisait.
Ma bave coulait déjà sur mon menton et je m'étouffais avec ma salive, dans des bruits de haut-le-cœur répugnants.
Mes yeux luisaient, tant à cause de l'effort que de l'humiliation. Je sentais pourtant mes cuisses devenir moites. Je secouai la tête pour le faire partir, je ne voulais plus. Pas comme ça. Viens on va dans ma chambre, faire ça bien pour une fois. Ça nous changera...
Mais il n'était pas du même avis et quand mes larmes dévalèrent mes joues, il se retira enfin. Je reniflai, dégoûtante. Il se débarrassa de sa gaine translucide, me collant plus fortement contre le mur, il se branla encore un peu. Et jouit. Sur moi. Sur mes seins encore habillés. À présent un mélange douteux de bave, morve, larmes et sperme décorait mon t-shirt blanc. Je voulais me cacher, et surtout qu'il ne voie jamais que j'avais goutté sur le sol. En le détestant si fortement. Il m'attrapa à la gorge pour me remettre sur mes jambes, je gémis malgré moi. Prendrait-il cela pour de la douleur ? Peu de chance. Il fourra sa langue dans ma bouche, sachant que je le lui avais toujours refusé. Dans un baiser féroce, il mordilla ma lèvre inférieure. Puis il me rendit ma liberté, à bout de souffle. Et me retira mon haut taché.

"Je crois qu'il est sale. Faudrait faire une machine..."

Je ris. Ce n'était pas drôle. Mais je ne pouvais pas m'en empêcher. Il me prit alors dans ses bras, abandonnant le sol jonché de nos vêtements, et la capote baveuse non loin. Il m'emmena à la douche. Plaquée contre le carrelage froid, l'eau tiède courant sur nos corps. À genoux devant moi, il inversait les rôles, se faisant pardonner ses manières de rustre, à coups de langue taquins. Mes cuisses tremblèrent enfin. Il avait atteint son but.
Dehors, la pluie avait cessé. On s'était blotti dans mon lit à regarder les dernières gouttelettes s'évaporer sur les carreaux. On ne disait rien. À quoi bon ?
On finit par se détacher. Dans le salon, c'était le foutoir. Tant pis. Ou tant mieux.
Je sortis nos affaires du sèche-linge qui n'arrêtait plus de biper.
Je lui tendis les siennes. Soudainement pudique, il se rhabilla dans la salle d'eau. Je lui proposai un truc à boire et à manger pour prolonger illusoirement nos instants. Il refusa. C'était sans doute mieux comme ça. Je m'habillai à mon tour, trouvant subitement ma demi-nudité ridicule, il ne voulait plus. Et le raccompagnai à la gare, nos mots sonnant plus creux que d'habitude. On ne se promit plus que c'était la dernière fois, ni qu'il y aurait une suite, c'était plus honnête et rassurant.

Le train l’avala et moi, je rentrai remettre de l’ordre dans mon appartement et mes idées.



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