Symphonie pour verre cassé

Les lieux étaient silencieux. De ce silence enveloppant. Presque pesant. Plus un cri à l'horizon et pourtant comme un écho, on entendait encore hurler. Les cloisons avaient trop emmagasiné de tensions pour se murer dans un mutisme poli. Elles semblaient à présent restituer la scène pour les spectateurs absents. Ou en retard parce que trouver une place pour se garer avait été plus long que prévu, qu'il fallait faire la queue au guichet, puis pour le pop corn. Bref les indélicats et les négligents. Pourquoi rejouer l'acte pour les indolents ? Ad nauseam, un bis, un ter... Ça n'en finissait plus. Demain, ça deviendrait plus calme. En attendant, tout était encore en tournage. Comme avec un metteur en scène, insatisfait et insatiable, épuisant ses acteurs, jusqu'à la rupture, et qui réussissant à capturer enfin la fragilité souhaitée, sourit, contenté, pendant que les comédiens se carapatent vite dans leur loge pour y pleurer tout leur saoul. Loin du regard impitoyable de la caméra.
Tasses ébréchées. Le vase avait même valsé. L'eau s'était presque complètement évaporée. Les assiettes avaient volé. Fleurs abîmées, bris et tessons jonchaient encore les tommettes rougies. La femme de ménage viendrait. Tout nettoyer. Mais plus tard. Après la tempête. Elle avait été congédiée peu avant l'orage menaçant. Les histoires se réglaient en privé. Même dans la fureur, préserver les apparences restait primordial. Elle verrait bien, certes, mais elle n'entendrait rien. Elle supputerait tout au plus. De toute façon, elle avait été choisie pour sa discrétion. Elle ne dirait rien. On entendait encore les murs claquer des dents, et les portes trembler sur leurs gonds. Trouvant refuge dans des lieux différents, personne n'avait trouvé le courage de réapparaître. Restant encore entortillé dans son nuage de furie. Même endormie, la maison semblait encore si agitée. Bientôt tout serait à nouveau calme. Des rires fuseraient, on devinerait à nouveau des sourires. En attendant, elle sentait comme le souffre. Et ressemblait à un champ de carnage tout droit sortie d'un enfer wagnérien. 
Si seulement les murs pouvaient nous parler. Et si nous savions vraiment les écouter. Tout ce qu'ils nous diraient ne serait pas beau à entendre. Qu'ils restent donc muets, et préservent ainsi l'illusion qu'on se tue acharnément à arranger.



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