Si seulement...

(Ou L'art de confondre l'eau à la bouche et les pieds dans le plat)



« Si seulement tu étais là... Ce soir. Dans mon appart. Qu'aurions-nous fait de nous ? On aurait zappé le dîner. Tu aurais débouché une bouteille. Et j'aurais fait couler un bain. Je n'aurais pas mis de bougies ou de pétales de rose. Mais on aurait bu nos verres dans l'eau. Tu aurais laissé glisser des larmes d'alcool sur ma peau, avant de te précipiter pour les lécher. Me lécher avant qu'elles ne se fondent dans la mousse. Ensuite, on aurait rejoint mon lit, sans nous sécher, les bulles de savon nous recouvrant encore. On aurait alors cédé à notre urgence.

Fais de beaux rêves... »


Je ne relus pas. Une règle entre nous : la spontanéité pour éviter de nous censurer. Tant pis si parfois emportés par notre élan, nous contrevenions aux règles de la logique – il savait bien que j'aurais détesté tremper mes draps ainsi – et que certains détails se contredisaient. On sortait notre vérité de notre chapeau et dans le sas de notre tête, le tourniquet de nos fantasmes faisait parfois voler en éclats la plausibilité.

Il me répondit deux jours plus tard. Pourquoi croyais-je encore arriver à capter son attention immédiatement ? Il m'apprenait la patience. Et la pondération. À sa manière...

« Si seulement nous avions été seuls...
Au restaurant, l'autre jour, j'aurais aimé rapprocher ta chaise de la table, d'un mouvement sec du pied. Ne te laissant plus l'espace pour même respirer. Tu aurais encore donné le change. Tu le fais toujours quand on n'est pas seuls. J'aime voir à quel point tu arrives à tout contrôler. Tout en ayant pourtant l'impression d'être si transparente. Te pousser dans tes retranchements est alors un mets de choix. Tu n'aurais plus été à ton aise pour couper ta viande mais tu aurais pourtant essayé. Avant de jeter l'éponge en prétendant ne plus avoir faim. Peut-être que ma main négligemment glissée sous la table et écartant les élastiques de ta culotte aurait été alors la véritable coupable de ton manque d'appétit. De mon côté, j'aurais continué à manger. Caressant tes nymphes. Te proposant même de goûter à mon plat. Sans doute légèrement narquois. Recueillant ton eau dans ma paume ouverte, entre tes cuisses devenues moites. Te voir ensuite te trémousser pour tenter de congédier mon doigt en toi tandis que le serveur aurait débarrassé nos assiettes m'aurait sûrement mis en joie.
"Un doggy bag, s'il vous plaît. Mademoiselle aura sans doute un creux plus tard mais pour l'instant d'autres pensées l'habitent."
Le grand brun aurait-il saisi ma grivoiserie ? Peu importe. Tu aurais rougi, essayant de te cacher vainement derrière tes cheveux, pour une fois attachés par mes soins avant de partir dîner.
On n'aurait pas attendu d'être chez moi pour calmer ton émoi. Une porte cochère aurait bien fait l'affaire. À moins qu'on eusse testé ma cabine d'ascenseur...
Tout en admirant ton apparente maîtrise, surprendre tes petits coups d'œil inquiets et tes prières silencieuses n'aurait alors rien fait pour calmer mes ardeurs, je t'assure.

Ne te branle pas au bureau. Attends d'être rentrée. »


On jouait. Évidemment qu'on jouait... C'était le but. Du jeu. 
Il avait enflammé mes joues, mon cerveau et même plus bas. J'aurais aimé pouvoir lui dire que j'avais trop fumé, trop bu, trop fait la fête. Que j'étais droguée à la fatigue. Que j'écrivais sur un coup de tête, dans un sommeil entrecoupé, le vibreur de la notification me cueillant dans mon lit. Mais on était en pleine journée. J'étais dans le bus. Et je n'avais pas d'autre excuse que la lassitude. Et le besoin de ne plus freiner les mots que mes doigts connaissaient mieux que moi.

« Si seulement tu cessais d'avoir peur.
J'arriverais peut-être à accepter ma vulnérabilité face à toi...
Mais je crains toujours que mon absurde sensibilité biscornue t'encombre. Et je ne peux pas t'imposer quelque chose que tu ne souhaites pas... Je me sentirais trop impudique et ébranlable. Alors je me tais. Et reste cette petite chose fragile mais hermétique que tu rêves de décrypter, tout en espérant de n'en jamais trouver la clef...
Et je fais semblant que tout ça me plaît autant qu'avant...
Si seulement tu nous autorisais à nous attacher au grand jour, alors je prendrais le train ce soir pour te rejoindre. Mais comme tu feins de garder la tête froide pour me protéger, nous protéger, alors, dans quelques jours, on va essayer de se trouver une date pour dans un mois, et croire que ça nous comblera. Et je n'allumerai toujours pas les bougies parfumées. »







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