Contre toutes attentes...

Je me démaquillais encore quand la sonnette retentit. Je voulais faire bonne impression. Je l'entendais me dire que j'aurais dû m'entraîner à me maquiller plutôt que de me lancer comme ça. À l'arrache.
Le khôl n'était pas entièrement parti. Ça donnait un petit effet charbonneux, que je jugeais étonnamment acceptable. De toute façon, je n'avais plus le temps de faire autrement. Soit je faisais un trait d'eye-liner digne de ce nom, soit j'enlevais tout, et délicatement car j'avais déjà les yeux suffisamment rouges. Pressée par le temps, je n'arrivais pas à me décider. Il m'appelait déjà. Figée, je me dévisageais. Ça aurait sans doute pu être pire. Sa voix ajoutait déjà, et mieux aussi… Je voyais son regard me promettre une sanction pour ne pas m'être mieux préparée. Ma bouche brûlait déjà de lui rétorquer qu'il n'avait pas besoin de ce genre de broutilles pour me punir. Et ses yeux s'assombriraient alors que je me mettrais dans le pétrin joyeusement.
Il me rappela vivement à l'ordre. Je passai dans le couloir. En me penchant un peu contre la balustrade, je distinguais déjà les silhouettes en plongée. Et surtout son parfum ambré. Presque comme je l'imaginais. Elle était belle. Je le voulais. Je pris une attitude dégagée et descendis les escaliers. Ils m'attendaient en bas. Je m'arrêtai à quelques marches du palier. Accrochant son regard. Esquisse d'un faible sourire. Je baissai aussitôt le regard, les joues aussi rouges que ses lèvres. J'imaginais alors ses marques sur ma peau. Est-ce que ça serait aussi joli que dans les films ? Ou bien une tache grasse, grotesque et pénible à effacer ? Je me surpris à vouloir laisser le bénéfice au doute, moi aussi je voulais être l'héroïne d'un film. Je me sentais nue devant elle, je tirai machinalement sur mon pull. Une robe grise en maille filet élargie qui ne couvrait pas grand-chose. Il me jeta un œil satisfait. Elle m'évaluait encore sans détour quand il nous proposa de passer à table.

Ça c'était le film qui passait et repassait dans ma cervelle. Je voulais quelque chose de cet acabit et j'avais beau me raisonner pour éviter une cruelle déception, rien n'y faisait. Mon cœur battait trop fort et mes gestes étaient trop fébriles. Il cuisinait, et je l'observais à la dérobée, dans le canapé, à l'autre bout de la pièce. Je pris un livre, faisant semblant de lire pour lui cacher ma nervosité. Je m'étais préparée une heure à l'avance. Il avait choisi ma tenue, me prenant au dépourvu. Un pantalon noir de costume, un peu ample, qui m'engloutissait et une chemise sombre, fluide, et légèrement transparente, sur ma peau nue. Il m'avait coiffée devant la glace de la salle de bain et conseillée de ne pas mettre de maquillage. 
Même si tu sais bien que j'aime voir ton mascara couler. Ce n'est pas au programme de ce soir. 
Il m'avait observée m'empourprer dans le miroir, nos reflets se cherchaient. Les yeux écarquillés, je n'avais pas esquissé un geste, quand il avait déboutonné mon pantalon, fait glisser la braguette et sa main dans ma culotte. Ravi, il l'avait retirée pour me faire sucer ses doigts humides.
Regarde, rien que ça, ça aurait ruiné ton rouge à lèvres. Rien que ça.
J'avais léché avidement ses phalanges. Consciente que je n'aurais le droit qu'à cela pour le moment.
De sa main libre, il m'avait pincé le téton gauche, qui pointait insolemment sous le tissu. Jusqu'à m'arracher un gémissement. 
Allez viens, on descend.
Il m'avait laissé à peine le temps de me refagoter. Et reprendre mes esprits. D'une claque sur le cul, il m'invitait déjà à le précéder.
J'avais roulé des fesses dans les escaliers pour l'inciter à ne pas trop me faire languir. Un léger grognement, aussitôt réprimé, m'avait indiqué que j'avais effectivement fait mouche. Mais c'était bien mal le connaître ; si j'étais bien consciente de son emprise sur mon plaisir, ivre de frustration, j'avais alors surtout perdu de vue son goût à contrôler ses propres pulsions les plus primaires. Il aimait se faire attendre, savoir qu'il était maître de lui-même, peut-être même plus encore que m'apprendre la patience. Et plus je le provoquais, plus la bataille risquait de s'éterniser. Chaque nouvelle piqûre de rappel m'était plus douloureuse que la précédente. Savoir que je n'avais aucune prise sur cet être qui en avait tant sur moi me laissait toujours un goût acide sous la langue et la paradoxale envie irrépressible de m'agenouiller devant lui.

La sonnette retentit. Enfin.
Il était encore derrière les fourneaux, d'un geste, il me fit signe d'aller ouvrir. Pétrifiée, je n'en fis rien. Il était à présent trop tard pour reculer. Bientôt, nos premiers échanges de regards, de mots. Asseoir le rapport de force. La complicité ou l'animosité. Allait-elle vraiment me plaire ? Est-ce que le fait qu'elle lui plaise pourrait me suffire ? Aurais-je envie de me couler aussi à ses pieds en guettant son air satisfait ?

« Cesse de tenir ce livre à l'envers et obéis immédiatement, pour une fois. »

Ainsi donc, il avait remarqué, mais rien dit. Cela m'étonnait de lui. Il devait être nerveux, lui aussi…
Comme une petite marionnette désorientée, je posai mon bouquin et suivis la direction indiquée. La main sur la poignée. Désappointée, j'aurais aimé ne pas avoir eu tout ce temps pour cogiter. Pour l'instant rien n'était comme je me l'imaginais, je ne savais pas si j'en étais déjà déçue. Et dire que tout allait inévitablement se jouer maintenant…






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