Que notre joie demeure

(Tétralogie Nos chemins de Damas - "Que notre joie demeure" : suite de " Les Voies du Seigneur sont impénétrables " ?)


Jean-Sébastien, ses parents aimaient Bach, m'invita chez lui. Il vivait encore dans la demeure familiale, étant ainsi à quelques pas de la fac de droit où il se devait de réussir. Son grand frère ayant fait médecine, ses parents attendaient un grand avocat, ou bien un magistrat ; il aurait le choix. Ils ne savaient pas qu'il aurait voulu devenir ébéniste et qu'il n'était réellement heureux que dans l'atelier de son grand-père paternel. Mais bon, s'il n'y avait certes pas de sots métiers, là on ne parlait que d'un passe-temps d'adolescence. Et puis, les métiers manuels étaient ingrats, lui, il avait la possibilité intellectuelle de faire autre chose. Ne gâche pas ton talent, voyons. Ton grand-père, s'il avait eu le choix, n'aurait pas passé sa vie ainsi, tu peux me croire... Alors ne lui fais pas injure, tout de même... 

Corseté par son sens de la famille, je ne pourrais sûrement jamais lui faire entendre raison. Enfin, c'est de mes parents dont tu parles ! Tu sais bien qu'ils ne veulent que mon bonheur et ma réussite... Oui mais selon leurs termes, uniquement... Oppose-toi un peu, grandis ! Tu n'es plus un petit enfant...

Nos querelles incessantes. 

Il avait échappé au séminaire, il s'estimait heureux. Je le bousculais dans ses certitudes, il m'en voulait un peu. Pourtant, c'était lui qui me proposait toujours de se voir. Il aurait trouvé malséant qu'il se passât le contraire. Sa galanterie et ses manières gentiment surannées m'amusaient un peu. Jusqu'à quand ? 

Parfois, je lui reprochais de me voir comme une petite chose fragile et il se faisait pardonner en m'attachant dans ma chambre de bonne. Et me montrant qu'entre ses grandes mains de musicien, j'en étais effectivement une, petite chose fragile. On ne faisait pas l'amour. Le fruit défendu. Si son respect des traditions et de la religion pouvait admettre certaines entorses et autres ajustements, sur ce point il était intransigeant. On ne consommerait notre union que si d'aventure, il me conduisait à l'autel. Mais pour le moment, je refusais obstinément de rencontrer sa famille officiellement. Je les avais croisé deux ou trois fois par hasard. C'était suffisant pour l'instant. Je n'avais pas envie qu'ils fissent exploser notre bulle de jardin secret. Pour eux, j'étais la petite étudiante qui prenait des cours particuliers en droit constitutionnel avec leur fiston chéri. S'ils ne nous croyaient pas, ils n'en montraient rien.

Mais pour l'heure, mon hypothétique future belle-famille était à l'autre bout du pays, pour les vacances, et nous avions les lieux pour nous tous seuls pendant quelques jours. Nous comptions bien en profiter.

Sur le perron, à le voir s'effacer pour me faire entrer, je fondis devant cet air de châtelain m'accordant l'hospitalité. Il était beau ce con. Comment avais-je fait pour ne pas m'en rendre compte avant ?

Il n'avait plus rien à voir du scout qui m'avait corrigée dans la sacristie. À moins que l'amour ne rendît effectivement aveugle...



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